récit d’un événement

Porte Califale de Ceuta

 

 1. la première visite

Un jour d'avril de 2002, Adolfo Hernández Lafuente m'a appelé pour nous retrouver le lendemain, dans l'après-midi, au Parador La Muralla; le directeur allait lui montrer des pièces qui n'étaient pas ouvertes aux usagers. Bien que connaissant les jardins, la piscine, la galerie commerciale (en particulier le magasin de disques Nakasha), les voûtes et même le bastion de la Bandera (quand la boîte de nuit appelée El Candelero ou Muralla Club fonctionnait encore), je ne voulais pas passer l'occasion de découvrir le bastion de la Coraza Alta que Adolfo m'avait mentionné dans la conversation téléphonique, même si ce n'était pas le seul espace que nous allions visiter.

voûte d’accès aux chambres

Le lendemain, Adolfo m'attendait dans le hall du Parador et quelques instants plus tard, le directeur s'est approché de nous, après avoir traversé la galerie commerciale et le jardin, nous sommes arrivés à la porte qui donnait accès aux voûtes de l'ancienne Parc d’Artillerie. Je n'y étais pas allé depuis longtemps mais la voûte d’accès m'a impressionné comme si c'était la première fois que je le visitais, une voûte qui est la seule à conserver son volume original (à part ceux de la discothèque), puisque l’on n’avait pas construit un étage intermédiaire comme dans les autres.

Le directeur est rentré dans la voûte et ensuite il a tourné à gauche, nous conduisant dans un long couloir jusqu'à ce qu'il s'est arrêté devant une porte en bois qui se trouvait du côté opposé des chambres, du côté droit du couloir, là où il n'y avait pas d'autres ouvertures sur le mur. Bien que la porte soit identique à celle des chambres, elle se trouvait sous une arche qui avait été fermée et cela m'a fait comprendre que nous n'allions pas entrer dans une chambre, non plus dans le bastion de la Coraza Alta, puisque le couloir continuait et l'accès était censé être à la fin de celui-ci. Alors que le directeur tentait d'ouvrir la porte, mon impatience s'est accélérée devant l'incertitude de ce que nous allions trouver. Une fois à l'intérieur, j'ai été fasciné par un espace couronné par une coupole, du reste, peu se devinait à cause de la faible lumière et parce qu'il y avait plein d'objets abandonnés; chaises, tables, lampes, lits... c'était des meubles défectueux de l'hôtel et il semblait que cette pièce avait été utilisée comme local de stockage, ce qui était doublement étrange, en raison des dimensions et du revêtement de mortier de ciment rustique ondulé, comme s'il aurait eu auparavant un autre usage plus digne; le directeur nous a dit que cette salle avait été utilisée pour jouer au billard pendant les premières années d'exploitation de l'hôtel. En me déplaçant entre les meubles empilés, je pouvais voir la lumière naturelle qui entrait horizontalement par le mur opposé à l'entrée et qui provenait d'une minuscule fenêtre au bout d'une galerie étroite. Du coup, cette lumière est devenue une cible puisqu'elle allait servir de référence pour savoir où nous en étions par rapport aux Murallas Reales. Avant d'arriver au bout de la galerie creusée dans le mur (elle n'avait aucun revêtement) je pouvais déjà deviner que je me dirigeais vers le fossé grâce au bruit des bateaux qui les traversaient à ce moment précis. Je me suis fait une idée de la position de cette fenêtre en me référant à la contrescarpe et hornabèque du Frente de la Valenciana car un treillis métallique anti-pigeon m'empêchait de sortir la tête et de me situer avec les deux bastions. Je me suis dit qu'après la visite j'irais de l'autre côté du fossé pour voir la situation de cette fenêtre et mieux comprendre où se trouvait cette pièce, qui ne correspondait à aucun élément visible de l'extérieur comme c'était le cas avec les bastions. Je suis retourné à l'intérieur pour explorer l'espace voûté et surtout les salles associées des deux côtés. Bien que sur la gauche je pouvais voir deux arches qui précédaient deux pièces, je ne suis pas entrée car elles étaient complètement sombres et pleines d'objets, qui pouvaient aussi être dangereux, comme la laine de roche utilisée dans l'isolation, cependant, du côté opposé, une ouverture dans le mur laissait place à un escalier et j'imaginais automatiquement qu'il pouvait me conduire à un autre endroit encore plus caché ou à une sortie secrète sur le toit. Encore une fois, j'ai rencontré la difficulté de marcher entre les objets et dans l'obscurité. Soudain, j'ai heurté l'un d'eux provoquant un fort bruit. Sans savoir exactement sur quoi j'étais tombé, j'ai tout de suite su ce qui pouvait être à cause du son métallique et de sa taille.

intérieur de la tour byzantine

Depuis que j'ai fini mes études d'architecture en 1997, l'un des bâtiments que j'ai toujours montré à mes collègues architectes qui venaient me visiter était l'entrée et le hall du Parador, un élément assez imposant depuis l'extérieur qui se décompose matériellement jusqu'à ce qu'il atteigne la piscine, mais il y en a un encore plus intéressant, la salle à manger ou salle de fête, un espace agréable grâce à sa souplesse, sa hauteur, la lumière zénithale filtrée par la céramique émaillée bleue qui lui donne un aspect solide et protecteur contre le soleil de l'extérieur, un espace qui, cependant grâce à ses façades vitrées périmétrales, a permis d'intégrer les jardins de la piscine à l'intérieur. La salle à manger a un autre élément qui m'avait toujours fasciné, les lampes qui pendent du toit comme s'il s'agissait d'une installation d'art contemporain, les mêmes luminaires qui étaient utilisés (bien qu'ils soient hors échelle) dans le bar de l'hôtel, une proximité qui me permettait de mieux apprécier le savoir-faire (marocain) derrière les lampes et que l'architecte de l'hôtel, Carlos Picardo, avait décidé d'intégrer dans son projet.

lampes du Parador La Muralla

Cette fascination entre tradition et contemporanéité, entre architecture et art, c'est ce qui m'a permis, dès que j'ai entendu le bruit causé par mon pied montant l'escalier et heurtant l'objet, de savoir que c'était une des lampes que j'aimais tant beaucoup. En me penchant, j’ai pu voir que la lampe était cassée, séparée en deux morceaux et que la saleté l'avait transformée en un objet noir, rien à voir avec le métal brillant qui dominait à la fois le bar et la salle à manger. Quand le directeur et Adolfo m'ont demandé si j'allais bien, je leur ai dit de ne pas s'inquiéter et ils ont compris quand ils m'ont vu descendre les escaliers avec la lampe dans les mains. J'ai demandé au directeur ce qu'ils allaient faire de tous ces objets et il m'a dit qu'un jour ils devraient vider la chambre et tout jeter afin de pouvoir utiliser cet espace, même si ce n'était que pour les clients de l'hôtel. Devant le sort réservé à ce qui, pour moi, était une œuvre d'art, je lui ai demandé si je pouvais l'emporter avec moi et il a dit oui. A ce moment, ma curiosité de continuer à monter ces escaliers ou de découvrir les autres pièces avait disparu, j'avais déjà trouvé un trésor alors je l'ai laissé à côté de la porte où je le ramasserais après avoir terminé la visite. Des mois plus tard, je me suis demandé ce qui se serait passé si je n'avais pas trouvé cette lampe, aurais-je continué à enquêter dans les autres pièces?

rampe d’accès à l’intérieur du bastion de la Coraza Alta

Après être ressortis dans le couloir des chambres nous nous sommes dirigés, cette fois oui, jusqu'au bout, où une nouvelle porte aux caractéristiques identiques et dans le même mur, allait nous amener à l'intérieur du bastion de la Coraza Alta. Les efforts pour me rappeler à quoi ressemblait El Candelero, dans lequel j'ai eu la chance d'entrer après le dîner avec mes confrères architectes organisé en janvier 1998, n'ont servi à rien, mais j'avais retenu une série de voûtes parallèles qui servaient de prélude au tout bastion auquel descendait une rampe pour sauver une hauteur de seulement 60 cm. Ainsi, lorsque le directeur a ouvert la porte et que j'ai vu une rampe-escalier avec une pente proche de 35%, j'ai réalisé que l'espace dans lequel j'allais pénétrer n'avait rien à voir avec le bastion de l’extrême opposé.

 

voûtes de El Candelero ou Muralla Club à côté du bastion de la Bandera

baluarte de la Coraza Alta

Il est d'abord beaucoup plus régulier à l'intérieur, avec deux axes nets perpendiculaires et aucune torsion aux extrémités, il met également en évidence l'ouverture à ciel ouvert que le bastion de la Bandera n'a pas et un seul emplacement de canon ouvert dans l'orillon. J'ai eu une étrange sensation temporaire, alors que l'autre bastion est resté dans notre mémoire pour avoir été ouvert jusqu'à quelques années auparavant, à la Coraza Alta, le temps semblait s'être arrêté en 1967, l'année où les travaux du Parador ont été achevés. On pouvait encore voir les stocks de matériaux restants lors de l'exécution, comme les différentes pièces de céramique émaillée utilisées pour séparer les terrasses des voûtes et dans la protection solaire de la salle à manger. Je ne comprenais pas comment un espace aussi fantastique n'avait pas été conditionné; un nettoyage en profondeur, une bonne étanchéité des interstices pour empêcher les pigeons d'entrer et un éclairage auraient été plus que suffisants pour l'utiliser, ne serait-ce que pour une visite. En tout cas, j'avais réalisé un de mes rêves, entrer dans un espace qui était, et malheureusement toujours, inaccessible au public.

Lorsque nous avons quitté l'hôtel Adolfo et moi nous n’avons pas pu nous empêcher d'échanger nos sensations après la visite, d'une part notre bonheur était palpable pour avoir visité l’intérieur des Murailles Royales, d'autre part nous avons ressenti de la tristesse lorsque nous avons vu quelles étaient les usages que le Parador a donné à un Bien d'Intérêt Culturel (BIC). D'une certaine manière, le directeur a voulu les intégrer dans les espaces communs de l'hôtel, mais Paradores de Turismo ne lui a pas donné le budget pour les travaux. Nous avons discuté de ce que nous pouvions faire pour que l'administration locale intervienne et il nous est venu à l'esprit, dans un premier temps, que des experts du patrimoine pourraient effectuer la même visite que nous venions de faire, afin qu'ensemble nous puissions faire pression. Comme à cette époque nous travaillions déjà sur les Premières Journées d'Études des Fortifications de Ceuta que nous allions organiser depuis la Fundación Foro del Estrecho fin juin, nous avons vu la possibilité d'inclure une visite avec les participants au programme, le lendemain Adolfo a transmis l'idée au directeur de l'hôtel et il a accepté que nous puissions entrer à nouveau dans la salle avec la coupole, les bastions et le toit de la Muraille Royale en juin.

 

 2. les journées sur les fortifications

Du 27 au 28 juin 2002, la fondation Foro del Estrecho a organisé les Premières Journées d’Études sur les Fortifications, au cours de lesquelles une série de conférences et de tables rondes ont été programmées dans la salle de réunion du musée du Revellin avec la participation d'historiens, d'archéologues et d'architectes de la ville et de la Péninsule tels que Fernando Villada Paredes, José Manuel Hita Ruiz, Carlos Gozalbes Cravioto, José Hernández Palomo, Juan Bautista Vilar, Antonio Bravo Nieto, Aureliano Gómez Vizcaíno, José Luis Gómez Barceló, Adolfo Hernández, Juan Miguel Hernández León et Carlos Perez Marin.

detalle de la cúpula almohade de la torre bizantina. Autor: F. Villada

Le programme comprenait une visite guidée aux Murailles Royales le matin du 28. Les participants et les invités formaient un groupe d'environ 30 personnes. Après avoir visité la place d’armes et avoir reçu des explications sur les restaurations et réhabilitations effectuées ces dernières années sur les différents éléments défensifs, nous sommes partis à l'hôtel Parador pour visiter d'abord le bastion de la Bandera, qui pendant quelques années était resté fermé après la cessation d'activité du bar à cocktails Muralla Club. Les travaux réalisés pendant le fonctionnement de la discothèque ont rendu impossible l'observation des éléments de construction, à l'exception des arches à l'intérieur du bastion et des canonnières ouvertes sur le fossé navigable. Plus tard, nous sommes allés dans les salles qui occupaient les voûtes de l'ancien parc de l'artillerie. Je n'ai pas pu m'empêcher de comparer la visite faite des mois auparavant au cours de laquelle seules trois personnes parcouraient les couloirs, maintenant le murmure qui émanait du groupe compact occupait tout l'espace, on devinait des conversations liées aux dernières conférences mais une certaine agitation ou excitation était perceptible par ceux qui avaient travaillé sur les Murailles Royales mais n'avaient pas eu l'occasion de visiter le bastion de la Coraza Alta, encore moins cette pièce pleine de meubles et couronnée d'un coupole d'où l'on pouvait regarder dans le fossé à travers un trou dans le mur, qui était perceptible de l'autre côté mais auquel on n'avait jamais accédé et dont on ignorait le chemin pour y accéder, et bien sûr, personne ne pouvait imaginer les dimensions de l'espace qui se cachait derrière cette petite fenêtre. Arrivés à la porte de la "salle de stockage", le murmure devint assourdissant, à cause des dimensions du couloir, à cause aussi de l'impatience des chercheurs. Dès l'entrée, le groupe a commencé à se disperser parmi les meubles et les différentes pièces, la coupole et la fenêtre sur le fossé étaient les éléments qui ont suscité le plus de curiosité, même s'il faut reconnaître que la saleté, le manque de lumière, la multitude de objets, de personnes et le manque de temps, ont fait que nous ne sommes pas restés longtemps. Petit à petit nous avons quitté la "salle" et le silence a commencé à reprendre sa place, je suis resté presque jusqu'à la fin à observer la coupole car son système de construction (les briques se devinaient dans la partie la plus haute), les dimensions et les proportions ne correspondaient pas à un construction de la même période que les voûtes du 18ème siècle du Parc d’Artillerie, au moins c'était mon opinion à l'époque.

visita al interior del baluarte de la Coraza Alta

Puisque le temps pressait, nous sommes finalement tous allés au bout du couloir, où un espace encore plus spectaculaire nous attendait par son volume et ses dimensions. Je n'avais pas réalisé que la pente de la rampe-escalier et l'humidité causée par l'environnement et les fuites pouvaient être dangereuses pour les personnes d'un certain âge qui nous accompagnaient, cela rendait la descente plus lente et presque une seule file. Arrivés au point le plus bas, le geste se répétait encore et encore, tout le monde levait les yeux, émerveillés par la hauteur et l'ouverture sur le toit qui permettait de se faire une idée plus précise de l'échelle du lieu. L'espace diaphane aidait le groupe à déambuler, observant les détails des murs intérieurs, la structure, la toiture, le trou qui surplombait le fossé... J'ai apprécié dans les visages et les commentaires des participants, l'étonnement et l'incrédulité pour garder le bastion fermé au public avec toutes les possibilités qu'il offrait et sans grand coût économique.

Il fallait continuer car la visite ne s'arrêtait pas là, il fallait encore monter sur le toit des Murailles Royales. De la même manière que la descente s'est déroulée, nous avons entamé la remontée vers le couloir avec parcimonie, toujours en file indienne. Presque au bout de la rampe, José Luis Gómez Barceló m'a fait, ainsi qu'à ceux qui l'entouraient, prêter attention à un détail sur la voûte qui couvrait cette section:

- Regarde Carlos, un trou pour la herse.

Il semblait logique qu'il y avait la possibilité de sceller et d'empêcher l'accès à l'intérieur du complexe fortifié au cas où ils auraient pris le bastion par le fossé, à travers le grand espace qui existe encore, Aureliano Gómez Vizcaíno, comme un bon artilleur, a commenté qu'il pourrait s'agir d'un conduit de fumée destiné aux pièces d'artillerie, mais il ne semblait pas être ouvert au sommet. Il m'a semblé étrange qu'ils aient besoin d'autant de largeur pour une herse et qu'elle soit si haute pour un passage d'à peine 3 mètres de haut. En raison du manque d'éclairage, j'ai sorti mon petit appareil photo numérique Fuji pour utiliser le flash comme lampe de poche. En prenant plusieurs photos, j'ai confirmé mes pensées quant à la hauteur car il semblait qu'il atteignait le toit, mais mes doutes ont été accrus car un côté était parfaitement gréé tandis que l'autre avait une finition rugueuse. À un moment donné, Antonio Rodríguez, le personne qui s’occupait de l’entretien du Parador, qui nous accompagnait et qui nous avait ouvert les différentes portes, nous a dit d'attendre un peu car il allait nous apporter une lampe torche. Pendant que nous échangions nos impressions, debout, au milieu de la rampe, nous avons créé un blocage parce qu'il était difficile de nous dépasser pour sortir dans le couloir, aussi parce que d'autres personnes se sont jointes à la conversation (Fernando Villada, José Manuel Hita) ou prêtaient attention à elle-même (José Pedro Pedrajas, José María Hernández). Antonio est arrivé avec une lampe de poche et je me suis préparé à éclairer ces murs. Après un premier tour, j'ai éteint la lampe de poche et je me suis tourné vers ma droite, où Fernando et José Manuel continuaient à se regarder sans rien dire, immobiles, mais leurs expressions faciales me disaient qu'il se passait quelque chose.

- Qu’est-ce qu’il y a?
- Regarde la construction du mur, comment est-il l’appareillage des pierres?- m’a dit Fernando.

J'ai de nouveau illuminé le mur et j'ai répondu.

- en panneresse et double boutisse.
- Qui construit de telle manière? - m’a demandé Jose Manuel
- Ce n’est pas possible.
- C'est précisément ce que nous nous disons tous les deux.

tronçon du mur califal à l'intérieur du bastion de la Coraza Alta

Jusque-là, les seuls vestiges omeyyades connus de toute taille à Ceuta étaient la tour qui se trouvait à l'intérieur du bâtiment du Real Club Naútico CAS dans la marina (qui ne faisait pas plus de trois mètres de large et quatre mètres de haut) et le tronçon de mur qui est apparu à côté de la basilique romaine tardive (à peine un mètre et demi de haut), dans ce cas nous parlions d'une hauteur de plus de 10 mètres (nous avons appris plus tard qu'elle était de 12,64 m).


tour omeyyade à l’intérieur du Real Club Náutico CAS en 2003

tronçon de mur califal à côté de la basilique romaine tardive dans l’actualité

Fernando a décidé de poursuivre le programme prévu, soulignant que nous reviendrions plus calmement après quelques jours, après tout, avec Adolfo ce sont eux qui ont dirigé la visite et il y avait encore la visite à la toiture des murailles qui était généralement inaccessible, à l'exception des soldats du Quartier général qui étaient chargés de baisser le drapeau et qui nous permettraient d'observer d'un autre point de vue, non seulement les Murailles Royales mais la ville, le détroit et la baie sud.

Me retrouvant avec une lampe de poche dans les mains et comme tout le monde était déjà sorti dans le jardin pour monter sur le toit, j'ai dit à José Pedro que s'il y avait un tronçon de mur califal ici, il serait logique qu'il continue vers le autre bastion et donc il apparaissait dans la salle que nous avions précédemment visitée; on devait retourner à la coupole. J'ai demandé à Antonio s'il pouvait nous ouvrir à nouveau la «salle de stockage» car nous voulions vérifier certaines choses avec la lampe de poche et il nous a dit qu'il n'y avait pas de problème. José María Hernández et José Manuel Hita nous ont suivi et une fois à l'intérieur, je me suis consacré à explorer les pièces associées, qui étaient totalement sombres. J'ai commencé par la première à droite, mais ses dimensions (malgré sa hauteur) n'ont pas vraiment retenu mon attention. Puis je suis allé dans un autre espace attenant qui avait toujours le même revêtement en ciment mais dont la hauteur était réduite, couronnée par une voûte d'arête. J'ai remarqué l'arc en plein cintre qui était d'un côté et l'espace derrière, complètement sombre, plein d'objets et de matériaux de construction. C'était une sorte de local résiduel dont le niveau intérieur était supérieur d'un mètre et demi, ce qui rendait l'accès difficile.

intérieur de la porte califale avant l’intervention. Auteur: F. Villada

La curiosité était telle que j'ai décidé de monter et d'entrer dedans, malgré ma peur de toucher la laine de roche, plus connue dans les chantiers sous le nom de pique-pique, en raison des effets qu'elle avait au contact de la peau. Une fois à l'intérieur, non sans effort, je me levai en regardant les claveaux de la voûte, me préparant à inspecter le revêtement. Quand j'ai allumé la lampe de poche et l'ai braquée sur la culée gauche, je n'en revenais pas alors que j'ai continué le long de l'arche jusqu'à la clé de voûte et sans m'arrêter jusqu'à la culée opposée. Il n'y avait pas d'enduit de ciment, mais la même pierre ostréicole que nous avions vue en montant vers le bastion de la Coraza Alta mais avec une série de moulures, c'est-à-dire qu'elle se trouvait devant ce qui semblait être une porte construite par les Omeyyades. J'ai parcouru à nouveau l'arche avec la lampe de poche, encore et encore, c'était comme si une arche de pierre était dessinée dans l'air qui disparaissait dans l'obscurité lorsque la lampe de poche ne l'éclairait plus, comme s'il s'agissait des effets spéciaux d'un film. D'une voix tremblante, j'ai prévenu ceux qui étaient revenus avec moi dans la "salle de stockage":

- Venez, venez, il y a un arc califal ici!

détail de l’arc califal

Le premier à entrer a été José Pedro et il n'en croyait pas non plus, alors que les autres arrivaient et essayaient de monter j'avais déjà sauté et sorti en courant, je devais prévenir les autres. Mon cœur battait plus vite qu'une course de jogging ne pouvait le provoquer, mais ce que je venais de voir était complètement inattendu, je cherchais un tronçon de mur et pourtant j'étais tombé sur une arche complète. Je pensais que le groupe traverserait encore les jardins, mais quand je suis sorti des voûtes et que je ne les ai pas trouvés, j'ai su que je devais continuer ma course vers le toit, en essayant de ne pas alarmer les baigneurs qui profitaient du soleil et la piscine. Après avoir atteint le toit et localisé Fernando, il m'a regardé presque effrayé.

-Qu'est-ce qui ne va pas Carlos, pourquoi tu cours?
Respirant fortement, j’ai répondu.
- Viens Fernando, nous avons découvert une porte omeyyade.
- Carlos, arrête tes blagues, il est trop tard, nous devons encore terminer la visite sur le toit et ils nous attendent déjà pour manger en bas.
Je l'ai regardé dans les yeux et je lui ai dit très sérieusement.
- Fernando, viens avec moi tout de suite.

À ce moment, il a quitté le groupe et m'a accompagné jusqu'à l'ancienne salle de billard où attendaient Antonio, José Pedro, José Manuel et José María, dont les visages heureux étaient évidents. Fernando est allé voir José Manuel et lui a demandé ce qui se passait et il a répondu.

- Rentre avec la lampe de poche.

Peu à peu, d'autres participants de la visite sont arrivés et ils ont tous été d'accord sur la même chose lorsqu'ils ont vu comment cet arc était exécuté et comment il avait une continuation des deux côtés, l'un d'eux avec un tronçon de mur construit avec le même type de pierre ostréicole; c'était une porte de sortie de la ville. Pendant que quelques chercheurs échangeaient leurs opinions, nous avons commencé à discuter sous la coupole les prochaines étapes à franchir, car cette découverte avait une portée au-delà de notre ville; avant de convoquer une conférence de presse, il faudrait demander une audience au président de la ville pour lui expliquer l'étendue de la découverte; Il faudrait prendre des photos et faire un relevé pour accompagner le rapport que José Luis Gómez Barceló allait envoyer à l'Académie Royale d'Histoire... Une fois dehors nous nous sommes dirigés vers la terrasse de l'hôtel pour déjeuner, mais sur l'un de mes passages dans le hall d’entrée à l’hôtel, j'ai croisé plusieurs fois le Délégué du Gouvernement, devant tant de mouvement il m’a demandé:

- Carlos, qu'est-ce que t’arrive, je te vois si excité?
- Nous venons de découvrir une porte de l'époque califale, peut-être la porte d'entrée de la ville au Xe siècle.

A ce moment je n'ai pas prêté attention à sa réponse, c'était plus tard pendant le repas et un peu plus calme, et je n'arrivais pas à y croire car il m'a dit:

- Soyez prudent lorsque vous annoncez la découverte, vous allez donner au Maroc des arguments pour revendiquer la ville.

J’aurais dû avoir plus de reflet et répondre que le califat omeyyade de Cordoue était d'origine syrienne et que ses ennemis étaient précisément ceux qui occupaient les territoires de l'actuel Maroc, donc au lieu de cacher la découverte, il fallait la signaler.

Nous n'avons pas pu prolonger la conversation d'après-dîner car il nous restait encore deux conférences programmées, mais la joie était immense, nous avions conscience d'avoir vécu un moment unique et nous l'avions également partagé avec de multiples amis d'autres villes, tous amoureux des fortifications.

repas au Parador après les journées avec les participants

 

 3. les journées après la découverte

Le lendemain, nous avons été reçus par le président de la ville, Juan Jesús Vivas, et nous (Adolfo, Fernando, José Luis et moi) avons essayé d'expliquer l'importance de ce qui a été découvert, en soulignant qu'il s'agissait d'un fait historique et que cela n'arrivait pas tous les jours ni à Ceuta ni dans le monde. Nous lui avons également fait part des difficultés que son étude allait entraîner, puisqu'il se trouvait à l'intérieur du Parador et n'avait pas d'accès indépendant, donc nous allions sûrement nous retrouver avec un double obstacle. Cependant, Adolfo a insisté sur les outils administratifs dont disposait le conseil municipal, puisque les compétences en matière de culture avaient été transférées et que les Murailles Royales étaient classées comme bien d'intérêt culturel, c'était donc la ville autonome qui détenait le pouvoir de décider comment agir et quand, Paradores de Turismo, bien que dépendant de la Direction générale du patrimoine de l'État, ne pouvait s'y opposer. En revanche, nous savions tous que la recherche et l'intervention à l'intérieur de l'hôtel et dans les murailles allaient être un défi administratif.

poterne du bastion de la Bandera

Ce même samedi matin, après la réunion présidentielle, j'ai échangé des impressions avec José Pedro Pedrajas et nous avons mentionné les ouvertures dans le mur portugais que l'on pouvait voir de l'autre côté du fossé; la fenêtre qui menait à la coupole; la porte condamnée à proximité; la poterne que chacun des orillons avait au niveau de la mer. Jusqu'où amenaient les poternes, aux bastions ou bien à d'autres espaces cachés à l'intérieur des murailles? Nous commencions déjà à rêver de nouvelles découvertes, mais ce qui nous a vraiment émus, c'était la curiosité d'en savoir plus sur certains espaces qui n'apparaissaient pas dans les anciens plans mais qui étaient évidemment là. Nous avons convenu qu'il valait mieux vérifier sur place, donc le même après-midi nous avons enfilé les combinaisons en néoprène que nous utilisions pour faire de la pêche sous-marine et nous avons quitté la plage de Ribera en nageant vers le fossé, un fossé que nous regardions maintenant différemment car nous savions qu'il cachait d'autres fortifications et espaces à l'intérieur. Nous n'avons pas pu accéder à la poterne du premier bastion car elle était condamnée, cependant j'ai fait un effort pour me souvenir de ce que j'avais vu quand j'étais petit et je passais par là quand je m'entraînais au club de canoë Los Delfines (qui avait une salle de sport sous le pont Martínez Catena). Il fallait se rendre à la deuxième poterne qui était ouverte. La marée était haute et cela nous a aidé à accéder plus facilement à mesure que l'eau arrivait à l'intérieur. On ne voyait pas grand chose mais on a pu enlever nos palmes et aller encore plus loin, jusqu'à ce qu'on s'aperçoive que c'était une sorte d'excavation de roche mais assez désintégrée, on savait que les phyllites se caractérisaient par leur capacité à se désagréger au contact de l'air et avec l'eau, c'est pourquoi on a observé des glissements de terrain qui réduisaient de plus en plus l'espace jusqu'à ce que nous ne puissions plus continuer et que nous devions faire demi-tour. Nous avons été assez déçus de n'avoir rien trouvé, mais au moins la question qui nous y a mené est restée sans réponse, comment accéder aux poternes depuis l'intérieur des murailles?

L'"aventure" à travers le fossé ne s'est pas arrêtée là, lorsque nous avons nagé jusqu'à la plage, un zodiac de la Garde civile nous attendait derrière le pont et alors que nous nous approchions, l'un des plongeurs nous a dit:

- Toi et toi, montez dans le zodiaque. Voulez-vous nous expliquer ce que vous faisiez dans le fossé si c'est interdit de nager?

J'ai regardé José Pedro pour voir s'il parlait, mais il ne l'a pas fait, alors c'était mon tour.

- Si nous vous disons la vérité, vous n'allez pas nous croire.
- Essayez-le - m’a demandé le gendarme.
- Nous sommes architectes, il travaille à la mairie et hier nous avons découvert la porte de la ville du Xe siècle à l'intérieur du Parador, juste derrière la fenêtre que vous voyez dans le mur, peu de temps après la découverte, j'ai rencontré le délégué du gouvernement à l'hôtel et lui ai dit ce que nous avions trouvé car c'était un événement important pour Ceuta. Alors avec émotion José et moi nous sommes dit que peut-être les poternes nous emmèneraient vers d'autres espaces jusqu'alors inconnus.

J’avais aucune idée de leur réaction, mais c'était la vérité. Finalement, d'un ton conciliant, ils nous ont dit.

- La prochaine fois prévenez-nous et nous bouclerons le fossé afin que vous puissiez inspecter les murs sans être en danger avec la navigation des bateaux.

Nous nous sommes jetés à l'eau et nous sommes partis à la plage, déçus, n'ayant rien trouvé.

Le lundi 1er juillet, le directeur du Parador, malgré toute l'agitation quelques jours auparavant, nous a permis d'entrer à nouveau dans la "salle de stockage" grâce à l'amitié qu'il avait avec Adolfo, un espace qui avait été rebaptisé Puerta Califal. Avec Fernando Villada, José Luis Gómez Barceló et Adolfo Hernández, nous voulions prendre des photos et faire un croquis pour pouvoir les utiliser dans le rapport que nous allions présenter au président et à la presse locale et nationale. Le plus dur du relevé n'était pas de travailler dans un espace plein de meubles mais de travailler dans un lieu que l'on croyait disparu et qui donnait parfois l'impression comme si nous avions voyagé dans le temps.

esquisse du relevé de la Porte Califale et du bastion de la Coraza Alta

 

plans de la Porte Califale et du bastion de la Coraza Alta

 

plan original de l’hôtel Parador dans la zone d’intervention de l’architecte Carlos Picardo

En même temps, nous avons commencé à nous poser multiples questions sur ce qui s'y trouvait et sur les espaces encore cachés: Tout avait-il été construit par les Omeyyades?; pourquoi l'intérieur avait-il le revêtement en ciment?; avait-il une utilisation spécifique au sein de l'hôtel?; où menaient les escaliers, au toit?; comment la porte était-elle reliée de manière constructive au toit du bastion de la Coraza Alta?; de l'autre côté du fossé on voyait parfaitement la fenêtre, mais qu'en était-il de la porte condamnée à sa gauche?; si l'on enlevait le terre entre les deux murs en direction du bastion de la Bandera, serait-il possible d'atteindre cette porte?, y aurait-il un espace plus grand ou le même que l'actuel de seulement 3 mètres?; le mur califal continuerait-il jusqu'au bastion de la Bandera?; comment est-il possible que l'architecte du Parador, Carlos Picardo, n'ait pas vu cette porte? Concernant cette dernière question, certains ont défendu qu'il le savait sûrement mais une fois les plans originaux vérifiés, nous avons vu qu'il décrivait lui-même cet endroit comme la CAVE, donc il ne pouvait pas être au courant de ce qu'il y avait là.

De nombreuses questions se sont posées au cours de cette journée, mais il y en avait beaucoup d'autres de nature administrative: la porte appartenait au Parador mais la ville avait des compétences culturelles; comment les visites seraient-elles organisées si le seul accès se faisait par la galerie d'accès à certaines chambres censées être de meilleure qualité et donc demander plus d'intimité?; la Ville serait-elle prête à investir ce qui était nécessaire pour étudier ce qui s'y trouvait?; que penseraient les gouvernants de la découverte d'un élément aussi unique, étant d'époque musulmane?; le feraient-ils avec enthousiasme ou avec réticence comme celles exprimées par le Délégué du Gouvernement le jour même de la découverte? La réunion tenue à la présidence dans laquelle nous étions Adolfo Hernández, Fernando Villada et José Luis Gómez Barceló n'a pas beaucoup aidé à dissiper les doutes liés à la gestion de la découverte, en fait, près de 20 ans plus tard, certaines de ces questions restent sans réponse, au fond, par manque d'intérêt et malgré les résultats des fouilles qui ont rendu cet ensemble de porte, tours et murailles unique au monde.

 

 4. la découverte: hasard ou conséquence?

Lorsqu'une découverte de ces caractéristiques est faite, c'est-à-dire en dehors du cadre des recherches ou des fouilles archéologiques, il serait très facile de l'attribuer à la chance, mais à partir du moment où une vingtaine d'experts en fortifications passent devant la porte et que personne ne remarque sa présence, nous amène à une autre justification, la découverte est le résultat d'une "méthodologie" appliquée à la recherche de terrain et ce qui est plus important, ce n'est pas une tâche attribuable à une seule personne mais à un groupe d'amis spécialisés dans différents domaines liés à héritage, avec une grande curiosité de savoir et de comprendre, et avec une capacité suffisante pour tout remettre en question de toutes les manières possibles.

Pour moi, les fortifications représentent un domaine de recherche qui m'est très proche puisque mon propre père est ingénieur militaire issu de l'Ecole Supérieure Polytechnique des Armées; grandir à la Comandancia de Obras de Ceuta, jouer avec les machines, dans l'imprimerie et dans les archives; passez du temps à lire des livres de construction dans la bibliothèque; aider mon père à terminer certains projets; visiter des ouvrages militaires, et compris des fortifications contemporaines... tout cela devrait influencer la manière d'analyser ce type de construction. Mais au-delà des systèmes de construction, des formes, des fonctions et de l'emplacement des fortifications, le principal apprentissage a été d'assumer la façon de penser des ingénieurs militaires lors de la résolution de problèmes, dans un lieu précis et à un moment donné. Cela s'est produit alors que je travaillais avec les forts néo-médiévaux du Campo Exterior, construits entre 1860 et 1884 après la guerre entre l'Espagne et le Maroc en 1859 et qui ont été construits pour surveiller et contrôler les nouveaux terrains de Ceuta convenues après le traité de Wad-Ras. Même adolescent, je me souviens du camping que nous faisions une fois par an avec l'école San Agustin à côté du fort Aranguren, des concours de radio amateur auxquels mes parents participaient au fort Anyera ou des déjeuners dominicaux auxquels la Garde civile invitait mon père dans le fort d'Elizabeth II. Il n'est pas étrange que dans un projet de lycée sur l'histoire, il m'est venu à l'esprit de le faire précisément sur les forts frontaliers et que des années plus tard, dans ma cinquième année d´études d’architecture, j'ai choisi les mêmes fortifications pour un projet d'urbanisme, expliquant comment le contrôle du territoire a été exercé à partir de ces fortifications, un intérêt qui s'est poursuivi une fois mes études terminées, lorsque pendant deux ans j'ai dirigé l'Escuela Taller Fuertes Campo Exterior, intervenant, cette fois en tant qu'architecte, dans les forts Príncipe Alfonso, Francisco de Asís et Aranguren. Je mentionne cette relation avec les forts néo-médiévaux parce que pour moi, c'est un exemple clair de la façon dont les ingénieurs militaires résolvaient les problèmes, même si cela signifiait ignorer les manuels et les traités d'ingénierie militaire, en créant des structures uniques aujourd'hui, ainsi que celles construites à Melilla en même temps et dans le même but.

Aldaz, Mendicuti, Bonel, Carbonell, Eguía, Picasso, Valdés, Brull et Picasso étaient les ingénieurs militaires qui ont commencé à réaliser des projets suivant les manuels de l'époque, avec des fortifications polygonales, au point que le premier fort à être achevé en 1860 c'était celui de Príncipe Alfonso, qui est polygonal, mais pour le reste des projets ils ont été obligés de modifier les projets déjà dessinés pour répondre aux sièges et attaques constants et aux tactiques et armes de l'ennemi, qui n'avaient rien à voir avec celles d'une armée européenne. Les ingénieurs militaires ont été contraints de recourir à des fortifications médiévales mais en les adaptant aux armes des tribus de la Yebala, ce qui a entraîné la multiplication des échappatoires autour du périmètre.

Il y avait une autre caractéristique que je considère essentielle pour pouvoir se mettre dans la tête d'un ingénieur militaire, l'évolution des systèmes de construction. Alors que dans le Principe Alfonso la pierre taillée (essentiellement du grès) était utilisée dans les embrasures, dans la base des pièces d'artillerie, dans les évacuations d'eau, dans les escaliers et dans la bordure du puits; dans les projets successifs la maçonnerie en pierre taillée a progressivement diminué jusqu'à ce qu'elle a presque disparu. La cause était l'absence de pierre à Ceuta à de telles fins, la seule qui pouvait être utilisée était la péridotite du mont Hacho mais sa grande dureté nécessitait beaucoup plus de temps pour le travailler et il était urgent de terminer les forts pour pouvoir abandonner les redoutes construites pendant la guerre et protéger les soldats chargés du contrôle des frontières. Il a fallu trouver d'autres solutions, comme celle réalisée par Federico Mendicuti lors de l'exécution des voûtes d'arêtes du deuxième étage du Fort Isabel II, il ne l'a pas fait avec de la maçonnerie en pierre, même pas avec des briques, ni avec une dalle avec des poutres et poutrelles en bois comme au rez-de-chaussée, ces voûtes ont été construites avec du béton de masse, ce qui lui a valu des félicitations "pour l'état avancé des travaux d'Elizabeth II malgré le peu de temps passé et le peu d'argent investi". Ces félicitations que conservent les archives de Ceuta étaient fondamentales pour pouvoir comprendre comment un ingénieur pense et comment il s'adapte au lieu, corroboré par mon père lorsqu'il m'a montré les projets sur lesquels il travaillait.

évolution du fort Isabel II à Ceuta

 

Les recherches menées sur les forts frontaliers à la Mairie m'ont aussi permis de rencontrer une série de personnes avec qui j'ai noué une amitié fructueuse en partageant les mêmes intérêts pour le patrimoine et l'histoire de la ville. Petit à petit, nous avons développé une sorte de méthodologie de recherche sur le terrain, qui consistait à visiter des fortifications, ou des bâtiments, tant à Ceuta que dans ses environs, en nous posant constamment des questions, parfois la réponse était donnée par l'archéologue, à d'autres occasions c'était l’historien ou les architectes ou l’écrivain ou les peintres ou le photographe... même s'il était aussi habituel que pas mal de questions restaient sans réponse, ce qui nous a conduit à visiter d'autres lieux liés historiquement ou à enquêter chacun dans ses sources et selon ses compétences, à retourner au même endroit et essayer de démêler les questions. Je me souviens encore des visites à Tétouan (avec Ahmed Amrani, Younes Rahmoun, Mohamed Benchaich ou Mustafa Ben Lahmar), Tanger, Asilah, Larache, Chaouen, Beliunes, Targa, Alcazarquivir, Azemmour, El Jadida (seulement trois semaines avant la découverte de la Porte Califale), Rabat, Salé, Fès... Des lieux qui partageaient avec Ceuta l'héritage des dynasties almohades et mérinides, de l'empire portugais ou du royaume espagnol et qui nous permettaient d'avoir une vision d’ensemble de toute la région. C'est cet intérêt pour l'échelle territoriale qui nous a conduit à d'autres types d'expéditions pour visiter les villes qui ont constitué, à un moment de l'histoire, la frontière entre le nord et le sud de la Méditerranée. La première destination était l'île de Malte puis l'île de Sicile (que je n'ai pas pu rejoindre), plus tard j'ai eu l'occasion de continuer uniquement les visites à Rhodes, Chypre, Beyrouth... Ces voyages à l'autre bout de la Méditerranée étaient également importants car ils nous ont donné une perspective complètement différente de Ceuta que celle que nous avions de la ville elle-même, comprenant mieux son importance à l'échelle mondiale et à travers les siècles.

expeditions à el-Jadida, Malte et Targa

expeditions à Asilah, Jebel Mousa, Tétouan et Beliunes

De la même manière que nous avons élargi nos zones d'étude à la Méditerranée orientale, diverses circonstances m’ont permis, il y a plus de 10 ans, de descendre peu à peu vers le sud de Ceuta, en étudiant des villes comme Marrakech, Agadir, des territoires comme les vallées du Drâa et du Ziz, le bassin du fleuve Noun à Guelmim ou des régions telles que Sakia el Hamra, Dakhla-Oued Ed-Dahab et Adrar. Des villes et des territoires qui, à divers moments de l'histoire, ont également été liés et très directement à Ceuta, ce qui m'a permis de connaître et de comprendre des aspects de notre patrimoine qui, d'un point de vue local, sont passés inaperçus.

Amergou-Marrakech-Taghjijt-Ouadane (au Maroc et en Mauritanie)

J'ai également appliqué cette méthodologie ou, plutôt, cette attitude aux projets sur lesquels je travaillais à Ceuta juste avant la découverte et dans lesquels, d'une manière ou d'une autre, ces mêmes amis ont participé avec moi au décryptage du patrimoine, en essayant de mieux comprendre l'histoire de la ville. Outre les forts néo-médiévaux, déjà cités, il y avait les trois marabouts de la ville (Sidi Brahim, Sidi Embarek et Sidi Bel Abbas as-Sabti), les travaux de renovation du Paseo de las Palmeras, la collaboration avec Fernando Menis pour la promenade piétonne sur le mont Hacho (de San Amaro à Santa Catalina), la réutilisation de l'entrepôt d'Abastos pour les conférences et expositions de l’Ordre officiel des architectes... Dans tous ces projets, le patrimoine s'étendait de l'époque califale à nos jours, une approche de l'histoire de la ville globale était donc nécessaire et non exclusivement temporelle ou territoriale. Le cas le plus clair a été le projet de renovation du Paseo de las Palmeras, dont les travaux ont commencé en mars 2002 (trois mois avant la découverte), avec un tronçon de mur composé d'éléments allant du 10e au 10e siècle. Nous savions, parce qu'elle était visible, qu'il y avait une tour omeyyade à l'intérieur des bureaux du Real Club Náutico CAS, mais après la découverte à l'intérieur des Murailles Royales, nous avons pensé que peut-être d'autres vestiges de la même période pourraient apparaître; c'était l'un des objectifs des fouilles archéologiques que Fernando Villada allait effectuer et qui n'ont finalement pas donné le résultat souhaité, cependant, en juillet 2003, en revoyant toute la planimétrie et les anciennes photographies apportées par José Luis Gómez Barceló dans la mémoire historique du projet, sur l'une des photos prises par Juan Bravo, après l'avoir agrandie sur ordinateur, j'ai observé qu'il y avait un gréement qui ressemblait à une corde et un double piquet sur le tronçon à côté de la tour et qui était caché par une construction attenante au bâtiment principal. Une fois le CAS démoli à la fin de 2003, la tour déjà connue, un tronçon (assez modifié) et une tour qui faisait partie de la porte de Santa María du 15e siècle ont été découvertes.

photo de la Muraille Nord avant la construction du Real Club Náutico CAS et présentée lors du cours d’été en juillet 2003 à Ceuta

Porte de Santa María avant et après les travaux du Desdoblamiento del Paseo de las Palmeras

Encore une fois il n'y avait rien à découvrir, tout était là, mais il fallait regarder l'information et la réalité d'une autre manière, avec la même attitude avec laquelle on avait vraimentEncore une fois, il n'y avait rien à découvrir, tout était là, mais il fallait regarder les informations et la réalité d'une autre manière, avec la même attitude avec laquelle nous avions fait tant de voyages et de visites du patrimoine en Afrique du Nord et en Méditerranée.

 

 5. épilogue

De mon point de vue, la découverte de la Porte Califale n'a pas été un hasard sinon le résultat d'une attitude partagée par un groupe d'amis ayant un intérêt commun, le patrimoine historique de Ceuta et ses environs; conscients (avec le temps et l'expérience) de la complexité que beaucoup de constructions gardaient en ne suivant pas les canons et les préceptes des manuels de génie militaire de l'époque et en les obligeant à une approche transdisciplinaire afin de comprendre la pensée des ingénieurs et bâtisseurs de chaque époque, ce dernier aspect était (et l’est) la clé comprendre le patrimoine.

Normalement, on ne valorise que les éléments constructifs qui nous sont parvenus, c'est-à-dire le patrimoine matériel, mais pour moi les circonstances qui ont donné lieu à ces interventions sont encore plus importantes, comme j'ai pu le vérifier en travaillant sur le patrimoine architectural du nord de l'Afrique. On pourrait dire qu'il existe un patrimoine immatériel inhérent aux fortifications. Ce sont les attitudes à l'égard des problèmes de nature défensive, dans le cas des fortifications, qu'il convient de protéger, en particulier dans le cas d'ensembles fortifiés ou de villes (telles que les Murailles Royales ou les médinas) encore vivantes, qui continuent d'évoluer (ayant de nouveaux besoins) et qui nécessitent une stratégie d'intervention. C'est là que surgit la dichotomie lorsqu'il s'agit de les adapter à de nouveaux usages ou fonctions: qu’est-ce qu’il faut sauvegarder la matérialité de l'existant ou la mentalité qui a donné lieu à cette matérialité? Grâce à la découverte de la Porte Califale, nous avons appris que sans connaissance préalable des circonstances entourant sa construction (essentiellement les facteurs conditionnants issus des fortifications existantes) nous ne pourrons jamais comprendre notre héritage, une connaissance encore incomplète aujourd'hui, et donc insuffisant, n'ayant pas pu étudier les Murailles Royales dans son ensemble. Ainsi, nous nous posons encore de multiples questions et essayons de trouver des réponses, malgré les difficultés générées par une administration qui ne planifie ni n'investit à la hauteur de l'importance de notre héritage, et qui nous empêche de montrer la véritable importance de Ceuta dans l'histoire de l'Humanité, sinon ils auraient fourni les moyens nécessaires pour faire des recherches et résoudre les énigmes d'éléments représentatifs de Ceuta tels que les Murailles Royales, la forteresse du Hacho ou el-Afrag.

Pour conclure, je voudrais évoquer les noms de Fernando Villada, José Luis Gómez Barceló, Adolfo Hernández, José Pedro Pedrajas, José Manuel Hita, Ricardo Ugarte, Andrés Ayud, Carmen Navío, Ahmed Dabah et bien d'autres comme un humble hommage aux compagnons d'expéditions et d'aventures pendant tant d'années, lesquels pouvaient se poser des questions, sans complexe, aussi bien au sommet d'un rocher dans le Rif qu’à l'intérieur d'un bastion, sous un mur de 12 mètres.



Ceuta, juin 2021


Article paru dans le livre PUERTA CALIFAL DE CEUTA. Génesis y evolución de la Murailla Real, éditée par le Ministère de l'Éducation et de la Culture de la Ville Autonome de Ceuta