Une des multiples conversations que nous avons eu, lors du séjour à Moulay Bouchta avec Abdeljalil et Gilles en septembre 2018, était comment faire coïncider nos intérêts en tant que chercheurs et praticiens de l’art et de l’architecture, et de produire une “oeuvre” qui serait le résultat de nos compétences et de nos intérêts à Moulay Bouchta. En fait, il s’agissait de réunir le son, l’architecture et les arts plastiques tout en gardant un lien avec le lieu. Depuis un point de vue architectural il y avait deux aspects qui attiraient mon attention et qui devraient être explorés dans cette quête transdisciplinaires.
Le plus évident était le système constructif des maisons de la région, non pas par l’usage du pisé, mais plutôt les espaces et volumes qui généraient l’utilisation du bois d’olivier pour la construction des toits. On pourrait affirmer que l’intérieur de ces chambres étaient des installations d’art habitables.
Le deuxième aspect couvrait plusieurs échelles et domaines; géologie, paysage, espaces privés et publics habitables, religion, culture, système constructif, architecture… Tout cela se manifestait spécifiquement dans la relation entre les rochers et les maisons, tant dans leurs volumes que dans leurs espaces. Il est assez impressionnant comment les habitants de Moulay Bouchta utilisent, encore aujourd’hui, les grottes comme espaces annexes de leurs maisons ou comme des espaces autonomes (individuels ou collectifs). Par exemple, la grotte de sable est utilisée les jours les plus chauds de l’année vue la fraîcheur qui fait à l’intérieur.
Or, le cas le plus significatif était celui de Sidi Moulay Bouchta. Selon la tradition orale, il s'isolait dans une petite grotte au sommet de la montagne de Amergou, surplombant le village de Moulay Bouchta al-Khamar. Il y avait de la place que pour une personne dans un petit coin, en haut, pour dormir et un autre petit espace à l’entrée où l’on restait protégé de la pluie. C’est un lieu assez impressionnant d’à peine 2 mètres de largeur qui invitait à s’asseoir et méditer en regardant le paysage à travers l’ouverture qui avait la forme d’une porte.
Bien évidement ll fallait pas expliquer l’importance des grottes à Abdeljalil, il s’était construit sa propre maison collée à un rocher et sa chambre à coucher était dans une petite grotte du même rocher.
Gilles était aussi d’accord pour explorer ce sujet (espace, géologie et architecture), puisqu’il avait travaillé précisément la sonorité des pierres et cailloux et la façon dont les habitants exploitaient les rochers pour obtenir un matériau de construction (dans le village et ses alentours il y avait plusieurs endroits avec des toutes petites carrières à ciel ouvert) et les relations qu’ils gardaient avec le son de ces pierres et cailloux. Gilles a consacré le chapitre V. de sa publication Sawt, Bodies, Species. Sonic Pluralism in Morocco au STONESOUND, Living with stones, lithic affect and aura co-domestication (pages 194-233).
Une fois nous étions d’accord pour intervenir dans une des grottes il fallait chercher une qui réunisse certaines conditions; elle devait avoir une surface horizontale afin de permettre la construction d’un élément architectural; l’espace résultant devait pouvoir accueillir deux personnes; la présence du rocher devait être prédominant par rapport à l’architecture que nous allions ajouter.
Puisque les échanges ont été fait après la “résidence”, il a fallu retourner à Moulay Bouchta (ce que j’ai fait en janvier 2018 avec Younès Rahmoun) pour faire le repérage du maximum de grottes près de la maison de Abdeljalil, même si lui il menait ses propres repérages et dessinait des croquis pour expliquer les possibilités des endroits précis.
L’analyse que j’avais fait sur le rapport entre rochers et maisons m’avait montré que l’architecture était vraiment anecdotique, en ce qui concerne sa présence dans le paysage, et que bien si parfois il y avait un équilibre entre espace construit et espace géologique, il fallait garder cet idée; c’est la nature qui compte et non pas l’architecture.
Au fait, les premières propositions de Abdeljalil étaient plutôt des architectures posées sur un plateau rocheux ou sur un arbre. Pour moi, il fallait être plus aseptique, passer plus inaperçu; l’architecture ne devait pas avoir l’air d’architecture, même si l’on utilisait les matériaux et les systems constructifs que les habitants mettaient en place pour construir leurs maisons.









En regardant la manière dont les habitants, et plus concrètement Abdeljalil, construisaient des grilles et des barrières pour garder les animaux et clôturer leurs terrains, je me suis dit que cela pourrait être une technique à appliquer, mais à une autre échelle. Et si d’ailleurs on tenait en compte la construction des toits avec le bois d’olivier (déjà utilisé pour Abdeljalil pour ses installations d’art) nous pourrions nous en servir pour “aménager” l’espace choisit.











Après avoir vu 5 grottes, j’ai regardé une petite cavité juste à côte de la maison. Avec les objets que Abdeljalil stockait à l’entrée, il était difficile de se rendre compte que l’espace était un peu plus grand. Il est vrai que la cavité était trop ouverte et qu’une fois à l’intérieur cela ne donnait pas l’impression d’être une grotte, par contre, la “fissure” qui coupaient le rocher en deux à l’intérieur, lui imprégnait d’une puissance assez particulière. Si jamais on arrivait a “fermer” l’entrée pour renforcer l’importance des interstices et de la lumière que tombait d’en haut (et des côtés), peut-être que nous allions nous retrouver avec un lieu qui recueillait pas mal des concepts que nous avions imaginé au début.
En parlant avec Abdeljalil et Gilles, ils étaient d’accord pour intervenir dans ce lieu. Abdeljalil pensait que c’était faisable l’idée de construit un toit traditionnel en vertical, à mode de façade. Il fallait trouver une solution pour la porte de telle sorte que l’entrée ne soit associée à un bâtiment sinon à une “construction naturelle”. Nous nous sommes aperçus que si l’on laissait une ouverture tangentielle, par rapport au plan vertical du rocher, l’entrée pourrait se faire sans avoir besoin d’une porte.
Après plusieurs conversations, c’est Abdeljalil, avec l’aide des amis, qui a construit Kholwa Sakhra et compris l’aménagement à l’intérieur.





















Kholwa était pour nous une façon de montrer une collaboration transdisciplinaire entre deux artistes (plasticien et sonore) et un architecte, en utilisant des éléments vernaculaires d’un lieu très précis et particulière, celui de Moulay Bouchta et qui a servi comme lieu de repos et d’exposition lors des éditions 2019 et 2025 de Sakhra, tel que nous verrons sur les pages suivantes.
En préparant l’édition 2025, nous savons constaté que ce terme donné en 2019, kholwa (خـــــلوة), fait référence en arabe marocain à une pièce privée, un lieu de retraite ou à l'acte de s'isoler, ce qui décrivait parfaitement les usages que les visiteurs ont donné à ce lieu.
Credits texts, photos and drawings: Carlos Pérez Marín