06. Sakhra 2025


 

 06.0 Préface

   Après la réussite de Sakhra 2019, notre intention était d’organiser une deuxième édition en 2020 mais nous devions, d’abord, nous mettre d’accord sur le format. Dans nos conversations de septiembre 2018, nous voulions que l’événement Sakhra devienne un moment de partage et d’échange, en montrant les travaux des artistes et chercheurs ayant fait une résidence à Moulay Bouchta. Lors de l’édition 2019, seulement Ramia et Gilles ont vraiment passé du temps dans le village en faisant de recherches.

   En septembre 2019 nous avons eu une réunion à Rabat à laquelle a participé Fatima-Zahra Lakrissa car nous voulions depuis le début l’intégrer dans la réflexion, conception et organisation de Sakhra. Nous avons évoqué plusieurs options mais pour moi, il était clair que si jamais il n’y avait pas une résidence, ce n’était pas la peine d’organiser une nouvelle édition. Abdeljalil défendait qu’il avait toujours des nouvelles oeuvres à montrer mais pour moi, Sakhra n’était pas un Open Studio de l’atelier de Abdeljalil; ce type d’activité, il pouvait le faire à n’importe quel moment sans Gilles, Fatima-Zahra ou moi.

   Pour accueillir des artistes en résidence il y avait deux questions à résoudre; le financement et l’espace pour accueillir les résidents. La première édition de Sakhra avait été financée par Gilles avec le budget de son doctorat, mais pour continuer il fallait chercher de l’argent et une des prémisses était d’enregistrer une association au ministère de l’Intérieur (à laquelle Gilles et moi on ne pouvait pas participer puisque nous n’étions pas des résidents au Maroc). Abdeljalil n’était pas partant pour créer une association et cela nous limitait, ou plutôt nous conditionnait (de la même manière que nous étions, et nous sommes toujours, conditionnés à l’oasis avec Caravane Tighmert). Financer l’événement de nos poches n’était pas envisageable, avec l’argent que je mettais déjà pour Caravane Tighmert je ne pouvais pas prendre en charge une partie de Sakhra. On pouvait toujours proposer aux artistes de venir à leur compte et rester autant de temps qu’ils veulent mais sans prendre en charge la nourriture. C’était une solution envisageable, si jamais Abdeljalil faisait des travaux dans la maison familiale, avec la construction d’un coin cuisine et d’une salle de bain (o similaire). Rester des jours, des semaines même des mois dans le canapé de sa maison-atelier n’était pas une option. Malgré l’absence de financement, nous pensions que la contrepartie, de la part de Abdeljalil, d’être logé dans una maison traditionnelle et d’être accompagné de près par lui dans les recherches, pourrait marcher (encore une fois comme à Tighmert). Bref, Abdeljalil devait faire des petits travaux chez lui si nous voulions continuer le projet.

   Nous sommes parties de Rabat avec une idée plus précise de ce que nous aimerions faire, avec nos possibilités, et en sachant que peut-être cela allait être un peu précipité de prévoir une prochaine édition au printemps de 2020. Pendant les mois suivants on parlait de temps en temps avec Abdeljalil pour savoir s’il avait commencé les travaux, mais la réponse était toujours négative. Par contre, en janvier, il nous proposait de nous réunir par vidéoconférence pour parler de l’édition 2020, à la quelle je me suis opposée; Sakhra était un événement d’un week-end pour montrer les rechercher menées en avance et non pas un Open Studio. Dans tous les cas, Abdeljalil avait toujours en tête de faire quelque chose en avril 2020. En mars 2o2o, la Covid est arrivée et il n’a pas pu organiser quoi qui ce soit.

   Pendant les années suivantes mes contacts se sont réduits avec Abdeljalil, je savais qu’il était assez occupé avec ses oliviers, ses animaux et ses recherches. Avec Gilles on s’est croisé plusieurs fois à Marrakech et à Berlin et il y a eu toujours des commentaires autour de Sakhra et de Kholwa; depuis 2019 Gilles voulait penser comment transposer la construction de Kholwa à une exposition en Europe, ce que pour moi a été une question difficile; “repliquer” Kholwa sans tomber dans un décor. Mais il avait raison, un jour nous devrions nous mettre à travailler sur cette idée. Mon problème à partir de 2020 était la manque d’argent, de temps et d’énergie à cause d’un autre événement que j’avais commencé à coorganiser avec des amis mauritaniens et de Tighmert. En 2020 nous avons fait le premier voyage en Mauritanie avec Younès Rahmoun et Ahmed Dabah, Obûr, et puis, de 2021 à 2023 nous avons organisé Caravane Ouadane (depuis 2024 c’est nos amis mauritaniens qui s’en chargent seuls).

   En décembre 2024, j’ai reçu un message de Gilles. Il avait trouvé un peu d’argent et il proposait d’organiser un événement en avril 2025, en invitant 3 artistes en résidence, avec une durée d’une semaine et avec un programme ouvert au public d’un week-end. C’était une solution hybride entre ce que nous avions déjà fait en 2019 et ce que nous aimerions développer pour la prochaine édition de Sakhra. Les trois artistes, plus les organisateurs, pourraient se loger facilement chez la famille et les amis de Abdeljalil. Abdeljalil était d’accord. Je pouvais pas dire non. Fatima-Zahra était aussi partante. Nous allions, 6 ans plus tard, organiser une nouvelle édition de Sakhra, et nous étions très heureux.

 

 06.1 Programme

   Finalement, pour l'édition 2025 sept artistes et chercheurs ont été invités à redéployer leurs pratiques sur le site pour une présentation publique le weekend du 18 au 20 avril 2025. Nous avons proposé aux participants de mettre l'accent sur les matériaux et savoir-faire locaux utilisés dans la construction, le goût et la préparation culinaire, ainsi que sur l'écoute et la communication entre les espèces. La sélection a été faite par les organisateurs et il n’a pas eu un appel à candidatures (on verra pour les prochaines éditions). Chacun de nous a proposé deux ou trois candidats pour la résidence, et deux ou trois pour la pièce sonore que nous allions commander en résonance avec Kholwa, tel que l’on expliquera plus tard. En théorie, cette édition allait avoir comme sujet principal, ce que Gilles nous avait proposé en décembre, le concept de Kholwa, mais finalement les choses sont évoluées autrement et il n’y a pas eu vraiment un élément central dans les propositions et dans les discussions. 

 

graphisme

   Contrairement à la première édition, nous avons décidé de communiquer que sur Instagram et non pas sur Facebook, par consequence il fallait penser aux images verticales plutôt que horizontales. L’idée de 2019 de faire un site Internet a été laissée d’un côté vu qu’il n’y avait pas trop de visibilité concernant la continuité du projet. Instagram nous obligeait, presque, à partir sur des visuels basés sur des photographies plutôt que sur des dessins (j’ai utilisé des photos faites avec une Leica M6 en noir et blanc). Comme le sujet de partie était Kholwa, il fallait intégrer une image représentative, tout en priorisant le message du rocher, c’est à dire, de Sakhra, l’importance du paysage et le rapport entre nature et architecture. Sur ces images on allait mettre les informations en utilisant des typographies contemporaines et en profitant de mes récentes acquisitions chez 29LT; Okaso Variable, Idris Sharp, Zarid Serif et Zarid Display

   Comme d’habitude, j’ai toujours essayé d’intégrer l’arabe (standard) mais personne autour de nous pouvait traduire correctement, et assez rapidement, des textes parfois un peu spécifiques (comme ces liés à la gastronomie). Cependant, il était fondamental pour moi que l’arabe apparaisse sur le logo. En 2019, j’avais fait une proposition avec les caractères en arabe et en français mais nous ne l’avons pas utilisé au dernier moment. Cette fois-ci, et grâce à la nouvelle typographie Okaso Variable, je suis arrivé à une solution qui me semblait pertinente.

 

 06.2 Financement

     Les rencontres Sakhra ont été financées en partie par le Fonds national suisse de la recherche scientifique (FNS) dans le cadre du projet de recherche « Esthétique collaborative dans l'art sonore mondial » de l'Institut de pratique et de théorie artistiques de la Haute école des arts de Berne (HKB), dans le cadre du programe post-doctorat de Gilles.

 

 06.3 Activités

   Sakhra est avant tout un moment de rencontres (entre habitants, artistes et visiteurs), de découverts (Moulay Bouchta, son histoire et patrimoine, son paysage, les travaux des artistes en résidence…), de réflexions, d’expérimentations, de créations... Pour cela, il fallait aussi du temps et heureusement le paysage du village invitait tout le monde à se promener et se poser quelque part tout simplement pour parler ou pour regarder.

 
 

   Grâce à la générosité de Youssef Titou, nous avons eu un groupe de musique Gnawa de Fès, Weld Ftoma, qui a joué pour tout le village et pendant toute la nuit dans la maison familial Saouli.

 

   Sauf Mohssin Harraki (à cause d’une maladie il n’a pas pu se rendre à Moulay Bouchta), tous les participants ont mené de recherches et à la fin ils ont fait une restitution publique, en sachant qu’il ne s’agissait pas de montrer une oeuvre finie et que le but était de démarrer des recherches et de créer des synergies entre eux, que peut-être donneront lieu à des projets ou des collaborations dans l’avenir, à Moulay Bouchta ou ailleurs. À Tighmert (et à Ouadane) nous avons constaté que parfois il est même plus important le temps d’échange que le temps de production. Voici un petit résumé de ce que chaque artiste à fait pendant la résidence et le programme public. 


Khalid Bastrioui

   Khalid Bastrioui est un artiste visuel qui réunit dans sa pratique esthétique le dessin, le design, l’installation. A travers quête et enquête, à la fois cartographiques et mentales, l’artiste explore les archives et les vestiges de la mer méditerranéenne, notamment la région du Rif dont il est issu; et cela pour réactiver son Histoire oubliée et l’héritage culturel local. Lauréat des Beaux-Arts de Tétouan en 2010, Bastrioui s’est inscrit très tôt dans un processus de réactivation du patrimoine matériel et immatériel, lisant et interprétant signes et traces, mots et choses, pour réinventer un nouveau récit. El Bastrioui a participé à plusieurs expositions et rencontres artistiques: État d’Urgence d’Instants Poétiques (Jardin d’Essais Botaniques, Rabat, 2019), Festival Open Studio Madrid (2019), London Design Festival, Londres (2013), etc.


   Ligne ou plus loin «,خط أو أبعد » 8 L’intervention est un dessin collectif réalisé sur papier avec les résidents de Sakhra et avec tous ceux qui souhaitent y participer. L’idée est simple et sensible: chacun est invité à tracer une ligne: courbe, droite, lyrique, brisée, pour exprimer une impression personnelle de l’espace qui nous entoure: une sensation, une lumière, une intuition, un chemin. Ce dessin collectif a été installé sur une partie de la maison de la famille Saouli, comme une empreinte commune et éphémère de notre passage. Khalid Bastrioui.

 
 

Ikram Benchrif

   Ikram Benchrif est une autrice de documentaire marocaine qui vit à Paris. Diplômée de l’école de l’image de l’Université de Dongguk (Séoul), elle coréalise ses premiers courts métrages avec Cho Yong-Kyu. Son parcours dans le cinéma a été précédé par une expérience de Grand Reporter. Ikram Benchrif documente les premiers chapitres du Printemps Arabe dont la guerre en Libye et la révolution en Tunisie, pour plusieurs médias méditerranéens. Après avoir traversé le master de Bruno Latour, Arts Politiques, en 2019, elle expérimente des manières collectives de fabrication d’images. Sa démarche trouve ses appuis dans un travail d’enquête sensible qu’elle pratique depuis 6 années, avec le danseur et chorégraphe Paul Girard. De leur rencontre a émergé une forme tierce, la fiction documentée: un genre qui explore les frontières entre le spectacle vivant et le documentaire. Ils travaillent actuellement sur une pièce chorégraphique documentaire autour des usagers d’une ligne ferroviaire.


   Ikram a une certaine expérience en travaillant sur des territoires ruraux, que ce soit au bois de Vincennes à Paris ou bien à l’oasis de Tighmert (Guelmim). Sa participation doit être considéré (au moins je le pense) comme un premier contact avec un autre territoire, isolé mais connecté avec des régions lointaines, comme celle de Noul Lamta, grâce aux routes commerciales tel que témoigne la fortification de Amergou.

   Elle a dû se confronter à la temporalité puisque ses recherches se développent normalement sur une longue durée. À Moulay Bouchta elle n’a eu que 4 jours pour faire une petite enquête sur la communication entre bergers. Pendant plusieurs jours, elle les a accompagné dans leurs parcours habituels avec leurs animaux. Lors de la performance, elle nous a amené dans un endroit depuis lequel on pourrait voir des terrains de pâturages au pied de la montagne Amergou. Avec l’aide des casques, elle nous a fait écouter un dialogue avec le langage de sifflements entre deux bergers, un sur notre position et l’autre qui était censé être à côté de la montagne Amergou.

 
 

Une place de jeu. Un carrefour en plein milieu du village érigé en espace de liberté, pour quelques heures. 

Tous les jours, au même endroit, cette scène: des filles et des garçons de différents âges inventent un lieu par leurs corps et leur présence mutuelle. 

Ce soir c'est le jeu des 5 cailloux. Concentration puis clameur autour de Souad qui ouvre la partie. Le vol incessant des cailloux se termine sur une querelle autour des règles. Les petits corps se lancent dans un jeu de cache-cache, pied nus, pour un reset. Le village en entier est un territoire "en jeu". 

Répétitives et libres, leurs partitions racontent quelque chose d'intimes autour d'eux et de leur monde. 

Il faut commencer par un terrain de jeu pour se rendre sensible à un lieu, à ses habitants. On y lit le réel, les manières d'y résister et les puissances de l'imaginaire. 

Les enfants de Moulay Bouchta m'ont mise sur la piste d'un son que j'ignorais: le sifflet. C'est avec ce son qu'ils se donnent rendez- vous pour jouer lorsqu'ils pâturent. 

Autour de Jbal Amergou, le sifflet devient musique. Au loin, deux jeunes hommes échangent une énergie sonore. Ça parle, ça rigole, ça s'interrompt. 

Les sons qu'ils émettent  se mêlent aux voix de leurs chèvres, au point de se confondre. De leur composition sifflée, un paysage apparaît et la poésie d'une langue traversant les espèces. 

Ikram Benchrif

 
 
 
 
 

Marouane Dekaoui

   Marouane Dekaoui, chef de cuisine à l’approche résolument contemporaine, trace un sillon singulier dans le paysage gastronomique. Son parcours, atypique, débute par des études juridiques avant de se laisser happer par sa passion: la cuisine.
   En 2018, il pose ses valises au Maroc et se révèle au grand public en tant que finaliste de l’émission télévisée Masterchef Maroc, représentant la France.
   Fort de cette expérience, il obtient son titre professionnel de cuisine à Montpellier et aiguise son talent dans des brasseries et restaurants gastronomiques de l’Hexagone.
   Son esprit créatif le pousse à explorer de nouveaux horizons. Il prend les rênes de deux espaces hybrides, à la fois restaurants, bars et lieux de culture, nichés au cœur des ateliers d’artistes de Poush, à Aubervilliers et Clichy. C’est là que sa vision de la cuisine prend une dimension nouvelle. Il la perçoit comme un langage universel, un vecteur d’émotions et de récits.
   Marouane s’affranchit des codes établis et adopte une approche expérimentale. Il manie les saveurs et les textures, transformant chaque plat en une expérience sensorielle et intellectuelle. Sa cuisine devient un moyen d’expression, un outil pour susciter l’échange et la réflexion.
   En 2024, après trois années passées chez Poush, le chef entame une nouvelle phase de sa carrière. Il se lance dans une série d’événements et de collaborations avec des figures artistiques et culturelles. Cette démarche témoigne de sa volonté de faire dialoguer la gastronomie avec d’autres formes d’expression artistique, élargissant ainsi les horizons de sa cuisine.


   Les recherches culinaires de Marouane coïncident avec les intérêts de Abdeljalil, qui utilise son potager et ses oliviers pour faire des tests et des expériences. Pour lui, compter avec Marouane était très important afin de montrer le rapport qu’il peut y avoir entre gastronomie, art contemporain et identité.

   Marouane est parti les deux premières jours à la recherche des plantes, légumes et fruits dans les potagers autour du village, avec lesquels il a organisé une série de menus dégustation (gratuits) aux visiteurs et participants, en les expliquant pourquoi il utilisait ces ingrédients et quelles étaient ses intentions pour chaque menu. Il a compté avec l’aide de quelques jeunes femmes du village et il a inauguré la nouvelle cuisine construite par Abdeljalil.

 

Une Bouchée, deux empreintes

Cette réflexion trouve son origine dans un échange avec Abd El Jalil Saouli, évoquant le pouvoir subtil de chaque main à métamorphoser le goût, même d’une simple graine. Cette bouchée est une méditation sur la transformation du vivant, où la main humaine sculpte et altère le goût, consciemment ou non. L’acte de créer à l’aveugle son propre assemblage d’épices par chaque convive illustre cette influence personnelle, parfois insondable et mystérieuse, sur la matière.
Ces teintes laissées sur nos doigts après la dégustation sont comme un rappel tangible que la nature, elle aussi, nous colore de son essence.

Bouc confit basse température dans des feuilles de figuier, ail , miel et citron.
Fumage aux herbes des prés.
Poudres :
Citron noir - poivre
Curcuma - anis - cumin
Poivron fumé - piment
Karkadé - rose de damas

 

Horizon vert

Prélude gustatif au paysage de Moulay Bouchta Al Khammar, où textures, couleurs et saveurs locales se rencontrent.


Purée de courgette
Pesto fèves / cumin / noix
Petit pois croquants
Huile de Slili
Tapenade d’olive brulée
Aïoli au safran

 
 

Dounia Mseffer

   Journaliste depuis 2002, Dounia Z. Mseffer est membre fondatrice du Réseau Marocain des Journalistes des Migrations (RMJM) et membre de l’Union de la Presse Francophone. Elle traite essentiellement de sujets sociétaux: droits des femmes, droits des personnes en situation de handicap, précarité au Maroc, mariage des enfants, situation des migrants au Maroc et ailleurs, l’impact des changements climatiques sur les populations locales… Elle a également participé à l’élaboration de «Migrations au Maroc: l’impasse?»(2019), «Maroc: Justice climatique, urgences sociales» (2021), «Travailleuses invisibles, les métiers de la discrimination» (2022), trois ouvrages collectifs édités par la maison d’édition indépendante marocaine, En Toutes Lettres. Entre 2019 et 2020, elle a co-réalisé pour le compte de l’UNESCO une étude sur les perceptions sociales à l’égard des personnes en situation de handicap au Maroc, ainsi que des capsules vidéo et des podcasts documentaires sur cette thématique. En 2021 et 2023, dans le cadre d’un ouvrage collectif pour la Fondation Heinrich Böll Rabat, elle publie un article sur les discriminations intersectionnelles dans le domaine du handicap et une enquête sur la situation des populations de Al Haouz trois mois après le séisme. Et entre 2023 et 2024, elle réalise en partenariat avec la Fondation Heinrich Böll Rabat et les Bonnes ondes, une série de podcast portant sur la migration climatique et l’impact des pesticides sur les travailleuses agricoles au Maroc et l’agroécologie.


   J’étais particulièrement curieux de voir comment Dounia allait s’intégrer dans la dynamique de Sakhra puisqu’elle n’est pas artiste et c’était la première fois qu’elle faisait une résidence. Il y a eu des discussions par rapport à ce qu’elle devait, pourrait, présenter comme restitution et dans le débat certains sont tombés, je pense, dans l’erreur d’attendre une proposition artistique et non pas une pièce sonore journalistique. Dounia est partie dans un village, Geddara, pas loin de Moulay Bouchta, elle a rencontré les femmes potières qui lui ont parlé de leurs conditions de travail, de la tradition artisanale, de l’avenir… Par respect à leur intimité, Dounia nous a fait écouter des extraits de ses conversations mais les femmes lui ont demandé de ne pas les partager sur Internet, c’est pour cela que l’on trouve ici seulement la discussion qu’il y a eu entre Dounia et le public de Sakhra, suite à l’écoute des ses conversations avec elles.

   En plus des femmes de Geddara, Dounia a fait la connaissance de pas mal de femmes de Moulay Bouchta, qui ont lui raconté le rôle des femmes pendant la colonisation, avec leurs engagements, même avec des armes, étant donné la proximité de la frontière entre les protectorats espagnol et français. À vrai dire, Dounia a montré un grand potentiel pour travailler avec les artistes, grâce à sa capacité à établir rapidement des relations avec les habitants locaux, en particulier avec les femmes, ainsi qu'à sa grande expérience et ses connaissances sur le terrain dans tout le pays.. Espérons que dans l’avenir elle puisse développer des projets artistiques avec les autres participants.

 

Abdellah M. Hassak

   Abdellah M. Hassak est un artiste sonore, DJ/producteur musical et directeur artistique. Né au Maroc à Casablanca, il a déjà repoussé les limites de sa pratique en 2014 et a fondé Mahattat Radio où il a mené des recherches radiophoniques et sonores dans le cadre de projets interdisciplinaires avec diverses communautés. Pendant huit ans, il a participé à des projets en tant qu’artiste, chercheur et producteur radio.
   Abdellah façonne le son comme matériau pour créer des œuvres sonores, des performances, des actes et des installations. Son processus créatif est souvent collaboratif et implique les communautés. Actuellement, ses recherches portent sur la mémoire, qu’il utilise comme un processus créatif basé sur l’interaction. Il est fasciné par la manière dont l’humain habite son environnement.
   L’écoute est au cœur de sa pratique, au-delà du son, comme moyen de saisir l’imperceptible ou comme prétexte à la rencontre de l’autre. Son travail attire l’attention sur les êtres qui nous entourent. Il s’intéresse à l’imaginaire et à l’interprétation contemporaine qui peut en être faite, au dialogue entre l’humain et le contexte – naturel ou urbain – dans lequel il évolue, et à ce que les voix nous racontent au-delà des mots.
   Les œuvres sonores d’Abdellah ont été diffusées sur des radios du monde entier, telles que Radio Papesse, Hangar, OTO Sound Museum, Pratiques d’hospitalité et African Crossroads. Il a collaboré avec de nombreuses autres institutions et espaces culturels au Maroc et à l’étranger dans le domaine de la pratique radiophonique et sonore, notamment la 5e édition de la Biennale de Marrakech, Le Musée Collectif, 1-54 Contemporary African Art Fair, Port25 – Raum für Gegenwartskunst, Mannheim FFT Düsseldorf, ÉSAD Grenoble, Sonic Matter et Qanat Collective.



   Abdallah a une solide expérience sur le terrain qui lui fourni des éléments sonores pour ses recherches en tant qu’artiste sonore, mais aussi en tant que producteur musical et Dj. Au fait, Abdellah était passé en octobre 2024 par Moulay Bouchta et il avait déjà commencé à enregistrer des sons. Pendant Sakhra il a testé, avec des équipements spéciaux, l’enregistrement sonore à l’intérieur de la terre, en enterrant des micros. Bien évidemment son matériel a créé de la curiosité entre les jeunes qui ont pu découvrir des sons que jamais ils avaient écouté auparavant. En réalité, il s’agissait presque des ateliers de son improvisés, qui ont provoqué par la suite des complicités entre Abdallah et les jeunes.

Sous la peau de la terre. Cette expérience sonore propose une écoute amplifiée d’un processus invisible: la rencontre lente entre l’eau et la terre d’argile. À l’aide d’un microphone hydrophone placé au cœur de la matière et d’un amplificateur-enregistreur sonore, le public est invité à plonger dans les micro-sonorités internes de l’argile qui s’imprègne d’humidité. Ce rituel d’écoute révèle une matière vivante, mouvante, où se croisent vibrations souterraines, glissements subtils et soupirs minéraux. L’expérience devient un espace d’attention, entre paysage sonore enfoui et mémoire archaïque du sol. Abdallah M. Hassan.

 

   Il a aussi fait deux performances, une dans la grotte de sable et une deuxième dans la maison Saouli.

   Écoute in situ dans une grotte du village. Un dispositif minimal, haut-parleur relié à un mégaphone, diffuse des sons collectés pendant la résidence et des textures préparées. Il s’agit d’éprouver la topologie acoustique du lieu et sa mémoire minérale. La cavité co-compose l’œuvre. Les parois filtrent, sculptent et répondent.

   La performance propose une éthique de l’écoute et du dialogue avec le paysage, les habitantes et habitants, les matériaux et les autres vivants. Des sons issus de marches, de gestes et de micro-événements autour de la maison d’Abdeljalil Saouli reviennent au territoire sous forme de récit. Geste modeste et symbolique, la restitution ouvre une hospitalité sonore. Elle cherche moins l’effet que la justesse d’une coprésence, en acceptant le site comme instrument et interlocuteur. Abdallah M. Hassak.

 

Fragments d’un territoire rêvé C’est une pièce sonore immersive conçue pour une écoute active et poétique. Déployée sur trois pistes audio en spatialisation surround, elle invite l’auditeur à voyager entre réel et imaginaire, en brouillant les frontières entre composition et enregistrement de terrain. Les sonorités captées dans les environnements singuliers de Moulay Bouchta – paysages sonores naturels, bruissements, résonances vernaculaires – s’entrelacent à des textures ambient composées numériquement, évoquant des paysages mentaux et des souvenirs flottants. La pièce explore l’idée d’un territoire sensible, perçu non comme une carte ou un lieu physique, mais comme un espace de projection intime, où l’écoute devient une expérience intérieure. Chaque piste agit comme un point de vue ou un fragment de mémoire, invitant l’auditeur à se déplacer mentalement dans un espace mouvant, entre matière sonore concrète et abstraction onirique. Abdallah M. Hassan. Pour la performance sur la terrasse de la maison Saouli, Abdallah a compté avec l’aide de Gilles Aubry et Souad el-Maysour.

 
 

Souad el-Maysour

   Souad El Maysour est une artiste franco-marocaine qui explore les intersections entre histoire, culture et mémoire, en tissant des liens entre le Nord et le Sud. Sa démarche, nourrie par une approche féministe, interroge les schémas de domination et la condition des femmes à travers le prisme de récits souvent invisibles. Elle combine observations de terrain, collecte de récits, explorations physiques et collaborations universitaires pour déconstruire les structures figées et révéler des dynamiques humaines et sociales complexes.
   Elle à presenté un projet de recherche à la Biennale de Dakar (novembre 2024), dans la section design. Prochainement, elle exposera au MUCEM à Marseille, poursuivant ainsi une réflexion artistique qui invite à réévaluer les rapports entre mémoire, identité et inégalités systémiques. Originaire de Fès et de cette région, elle a amorcé en 2019 une premier travail intilué « Clairvoyant - Al Bassir - Le paysan sans terre ». Ce travail a été interrompu par la pandémie et sera poursuivi à cette occasion.


 

   La première visite de Souad à la maison de Abdeljalil a été en septembre 2018, au moment dans lequel Gilles et moi étions là pour nos recherches avec Abdeljalil. À partir de ce moment Souad s’est intéressée, encore plus, à une région dont sa famille a des liens historiques (d’ailleurs elle est originaire de Fès). Ses fréquentations aux environs de Moulay Bouchta l’ont permis de mener des recherches approfondis, comme celle-ci qui a présenté lors de Sakhra 2025, une vidéo basée sur des éléments autobiographiques et sur les problèmes climatiques dont nous souffrons.

 CLAIRVOYANT-AL BASSIR PROJET: Le paysan sans terre  Notre aveuglement au changement climatique nous expose de plus en plus à des conséquences irréversibles. En plantant des graines non génétiquement modifiées et qui pourraient s’adapter à leur environnement, nous pourrions peux être contribuer à lutter contre cette dégradation. La vidéo témoigne de ce fragile espoir. L’écriture des graines en braille rejoint la clairvoyance au-delà de ce qui nous aveugle. Souad el-Maysour.

Crédit photo: Souad el-Maysour

Crédit photo: Souad el-Maysour

 

Abdeljalil Saouli

   Abdeljalil n’a pas présenté des oeuvres artistiques pour cette édition. Or, on pourrait affirmer néanmoins qu’il a presenté une oeuvre architecturale: la rénovation de la maison familiale. Les chambres originales n’ont pas été modifiées, sauf une que pour remarquer le rapport avec les rochers, un puit de lumière a été ajouté sur la nouvelle dalle qui, d’ailleurs, a permis l’extension de l’espace devant la nouvelle cuisine, en créant une grande terrasse. Le bâtiment qui était en haut a suivi aussi des rénovations. Le toit, avec pas mal de dégâts, a été changé par une dalle horizontale en béton (sur des poutrelles en bois), en créant une nouvelle terrasse en porte—à-faux avec l’aide de deux poteaux qui ont une caractéristique assez particulières, des chapiteaux en béton sur les extrémités des troncs en bois. Au début je pensais que c’était une évolution des greffages que Abdeljalil faisait avec les branches d’oliviers et qu’il a aussi utilisé dans ses oeuvres d’art, mais il m’a clarifié qu’il s’agissant tout simplement d’avoir une surface horizontale sur laquelle il pouvait poser les poutres principales en bois de la nouvelle dalle-terrasse.

   Le nouvel espace qu'il a créé est la cuisine, un simple abri qui exploite la présence de la falaise rocheuse derrière la maison, à l'instar des abris qu'il avait construit pour les animaux de sa maison, mais à une échelle différente. On y retrouve également une évolution de l'élément constructif que nous avions utilisé pour Kholwa: une sorte de plafond vertical, avec des branches de différentes tailles et un revêtement de terre et de sable. Ici, pas de revêtement, juste des branches et des troncs à mode de façade permeable.

   Ceux qui sont venus pour la première fois, notamment les architectes, ont pu aussi visiter la maison-atelier de Abdeljalil et ils se sont rendus compte des possibilités qui ont les systèmes constructifs traditionnels utilisés d’une manière contemporaine et de comment la singularité d’un lieu, Moulay Bouchta (les rochers avec ses volumes extérieurs et intérieurs) et les matériaux qui sont dans les alentours ne sont pas des obstacles mais des opportunités pour créer des architectures contemporaines.     

 

   Lors de la visite à la grotte de sable Abdeljalil a expliqué au public l’importance de l’agriculture locale et le rapport du gout avec la culture et la tradition de chaque lieu.

 

Abdeljalil Saouli et Gilles Aubry

   Après l’édition 2019 de Sakhra, Gilles et Abdeljalil ont continué leur recherches sur le terrain, certaines ont donné lieu à cette pièce sonore que nous avons pu écouter pendant le week-end public.



   Buffer le temps Essai sonore en français et en arabe sur les semences, le goût et la production alimentaire à Moulay Bouchta, au Maroc. À travers des échanges avec des jardiniers et des agriculteurs, Abdeljalil Saouli et Gilles Aubry explorent les semis comme des entités sensibles porteuses de souvenirs liés au goût, au toucher et à des générations d'interactions avec les humains et l'environnement. La pièce combine paroles, enregistrements de terrain, conversations et sons de synthétiseur modulaire dans une réflexion poétique sur la matière vivante et les relations inter-espèces. Une traduction à l’anglais du récit peut se lire sur le site Parastatal. Gilles Aubry.

 
 

 06.4 Créateurs sonores

   Quand Gilles nous a proposé cette nouvelle édition, il voulait mettre en avant la pièce Kholwa que nous avions conçu et construit en 2019. Il voulait faire des commandes des pièces sonores de 10 minutes à des artistes (pas forcement étant venu à Moulay Bouchta) sur une thématique libre mais en encourageant the sujets liés aux grottes ou au terme associé avec Kholwa; un espace réduit, privé, propice à la méditation, à l’isolation. Après avoir parlé et échangé sur les artistes que chacun de nous proposait, nous avons sélectionnés les suivantes pour montrer des pièces sonores à l’intérieur de Kholwa pendant tout le week-end public.

 
 

   Ikram Benchrif C'est au printemps 2023 que j'ai posé le pied à Tighmert pour la première fois. Pendant deux semaines, j'ai accompagné un groupe d'enfants de l'oasis. Nous nous sommes rencontrés autour d'une question: « Quels sont les sons que vous appréciez? » Ensemble, nous avons réalisé des enregistrements au rythme de leurs vacances de printemps. Il est rare que je rencontre des habitants capables de décrire avec précision leurs paysages sonores. Leur savoir et la manière dont ils le transmettent sont bouleversants, car ils sont à la fois immenses et fragiles. Partager leurs voix et leurs sons pourrait-il faire partie de leur fable? Une façon d'affirmer que les navigateurs du désert existent bel et bien à Tighmert, et que la profondeur de leur canal se mesure à la profondeur de leur imagination.


   Oli Bonzanigo La composition en couches capture un dialogue entre une station de radio improvisée et installée avec des enfants du quartier lors de la résidence Caravane Ouadane en novembre 2023 et des extraits d'un débat astronomique sur l'orientation dans le désert entre un chef nomade et un jeune astronome marocain, rencontrés dans le sud de la vallée du Drâa en septembre 2019. Les premiers montages comprennent également des détails spatialisés essentiels, des jam sessions locales, des cours en ligne Hassanyya, de la musique échangée sur USB, des concerts nomades sur téléphones portables, des messages vocaux, des assemblées de femmes, des cris du marché, des chèvres, des oiseaux et des poulets, des appels à la prière, des déchets de fer tremblant dans les vents brûlants de l'après-midi, des bavardages indéfinis à l'ombre, des rassemblements sur la place principale, des enfants errant, des rassemblements musicaux dans la cour de quelqu'un ou dans une maison cachée, des matchs de football, des interférences de signal, des volumes mangés par les tempêtes de sable, des conversations thé après thé après thé, des émissions de radio interrompues, ainsi que des échanges avec l'architecte et chercheur Carlos Pérez Marín et le sociologue Antoine Bouillon.


   Touda Bouanani Anaruz (espoir en berbère). Voyage sonore de chants et de sons d'espoirs de voix marocaines de la campagne à la ville du début du XXIème siècle. Langues : berbère et arabe dialectal.


   Ali Essafi et Houda Jouaij Un voyage sonore imaginant la première retraite des futurs nouveau-nés. (Écoutez les yeux fermés).


   Youssef TitouRecettes culinaires collectées auprès des femmes de la région de Moulay Bouchta, au souk, en faisant du auto-stop ou autour des jardins.

 06.5 Résumé

   Il est toujours difficile de faire le bilan de Sakhra 2025. J'aurais préféré publier une vidéo avec un épilogue mettant en scène les participants et les organisateurs, comme nous le faisons à Caravane Tighmert à la fin de chaque édition. Nous en parlerons (à mode d'épilogue interne) lors de notre prochaine réunion pour préparer une troisième édition, mais il est toujours nécessaire de discuter de ce qui a fonctionné et de ce qui n'a pas fonctionné afin d'améliorer la proposition culturelle.

   Quatre mois après Sakhra 2025, je ne peux que le comparer à l'édition précédente en 2019, aussi aux expectatives que nous avions en l’organisant. Ce n’est pas une excuse, mais faire un tel événement à Moulay Bouchta avec 5.000 € ce n’est pas évident. Là, il rentre la nourriture pour 12 personnes, le transport à l’intérieur du Maroc et des honoraires pour les commandes de pièces sonores et pour les résidents sélectionnés. Il faut toujours remercier les efforts que Gilles fait à chaque fois et surtout sa générosité. Mais tout cela ne serait pas possible sans l’énergie et aussi la générosité de Abdeljalil et sa famille. J’aimerais noter aussi l’implication de Fatima-Zahra, en espérant un jour pouvoir lire ses réféxions de Sakhra. En terme de logistique cela a été mieux qu’en 2019, bien que le nombre de visiteurs à été un peu inférieur (mais largement suffisant). Le fait qu’ils ont payé pour dormir chez l’habitant (100 Dh ou 10 € par personne et nuit) ou qu’ils ont fait du camping, nous a liberé aux organisateurs de s’occuper de la tâche logistique. En plus, les voisins ont pu en tirer un bénéfice économique, même si ce n’était que symbolique.

   Par rapport aux activités, la présence de la pluie a conditionné le nombre d’ateliers. En 2019, il y en a eu tout le temps et partout, grâce à l’implication des étudiants en beaux-arts et en architecture. Une différence avec 2019 était l’exposition. Lors de la première édition on pourrait affirmer que nous avons eu une très belle exposition avec un parcours qui connectait la partie haute du rocher avec les maisons d’en bas. Or, on peut pas demander une exposition s’il n’y a pas des artistes en résidence pendant les mois précédents. Je trouve que samedi a été assez intense, en tant que programme mais il est dommage que nous n’ayons pas pu programmer des discussions pour dimanche matin, comme nous l’avions prévu; en 2019 nous avons eu des conversations très intéressantes pendant tout le dimanche, sans la "pression” des activités ou de devoir se préoccuper des invités puisque l’événement était déjà fini.

   L’expérience de la résidence ce n’est pas une question essentielle pour moi, habitué à donner tout le temps nécessaire aux participants de Caravane Tighmert et Caravane Ouadane, d’abord pour comprendre un lieu au minimum et ensuite pour choisir un sujet d’intérêt. Or, d’autres amis font des propositions plus radicales, avec seulement deux jours de réflexion et de production pour une exposition qui durera qu’un soir. Depuis 10 ans mes amis Zak, Tom et George organisent chaque mois de juillet le Festival Youmein à Tanger. C’est à dire, il y a plusieurs modèles et tous peuvent être valides si jamais on est conscient des limites et des possibilités de chaque option. J’étais curieux de ce que pouvait donner 5 jours de recherche, bien que mon intérêt personnel était sur la participation des artistes qui pourraient s’engager par la suite à revenir à Moulay Bouchta pour une période plus longue. Il faut pas oublier que les rencontres sont aussi la base de ce type de projets culturels, des rencontres entre les participants, les organisateurs, les habitants et les visiteurs. Dès ce point de vue, cette édition a été aussi une réussite.

   En 2019, le coeur des rencontres et activités était la maison-atelier de Abdeljalil. En 2025 nous avons eu une très grande, et agréable, surprise et le centre neurologique a été déplacé.

   Quand on parlait d’où nous allions dormir (organisateurs et participants), Abdeljalil nous a dit qu’il avait préparé des chambres en bas, dans la maison familiale, et qu’il avait aussi aménagé des toilettes traditionnelles. On se disait, peut-être que finalement il a aménagé un peu la maison et à partir de maintenant il va pouvoir recevoir des artistes avec un minimum de confort. Quand nous sommes arrivés et nous avons vu les travaux qu’il avait fait, nous ne croyions pas. Il avait fait vraiment des gros travaux, avec des résultats incroyables. Les jeunes architectes qui sont venus ne pouvaient pas croire que des solutions constructives pareilles pourraient se faire, et ce qui est plus important, tenir. En réalité, la exposition de 2025 a été la maison de la famille Saouli, un compendium de savoir-faire, d’architecture traditionnelle, d’architecture contemporaine, de sens commun et d’art contemporain. Quand on parle des architectes qui font des maisons artistiques ou des artistes qui se prennent par des architectes, les résultats sont normalement médiocres. Abdeljalil a réussit à conjuguer sa pratique artistique avec son savoir-faire architectural acquis pendant la construction de sa maison-atelier et bien évidement dans l’observation qu’il fait de son environ, dont j’étais témoin à chaque passage par Moulay Bouchta. Le mieux sont les possibilités que maintenant s’ouvrent à Sakhra (on peut affirmer que nous avons la logistique pour accueillir des artistes en résidence), mais surtout à Abdeljalil, qui peut dorénavant utiliser la maison pour loger des touristes et gagner un peu d’argent supplémentaire.  

 
 

Credits texts, photos and drawings: Carlos Pérez Marín