05. Sakhra 2019


 

 05.1 Le projet culturel

   Pendant le séjour de recherche à Moulay Bouchta avec Abdeljalil et Gilles en septembre 2018, nous avons parlé à plusieurs repris de comment on pourrait organiser un événement où nous pourrions montrer les avancements et les résultats de nos recherches. D’un côté, il y avait tout le travail que Abdeljalil avait développé dans sa maison-atelier après ses études et une fois rentré au village. Et puis, il y avait Gilles avec ses recherches sonores, en solitaire, avec Abdeljalil et aussi avec Ramia Beladel. Cela aurait pu être suffisant, mais afin de consolider Moulay Bouchta comment un terrain propice à la recherche artistique (mais pas que…) et au développement d’une culture contemporaine basée sur la culture vernaculaire du village, nous nous sommes dits que cela serait bien d’inviter des artistes et des chercheurs venir passer du temps à Moulay Bouchta, avec l’idée de montrer leurs travaux pendant l’événement au printemps 2019. Bien si Abdeljalil était connu sur la scène artistique marocaine (notamment parmi les artistes de sa génération et suivantes), chacun de nous a proposé des artistes dont leur travaux résonnaient avec le lieu. Le plus facile était de faire appel aux amis qui pourraient nous faire confiance puisqu’il s’agissait de partir à la campagne pendant une semaine, au cours des mois précédents, avec des conditions de confort typiques de la campagne, et puis participer à une toute première expérience dans un village comme Moulay Bouchta et avec un budget minimal… Finalement, Younès Rahmoun, Saïd Afifi et Mustapha Akrim ont rejoint Abdeljalil Saouli, Gilles Aubry et Ramia Beladel pour montrer des oeuvres ou faire des interventions, ce que nous considérions comment un bon début et surtout une manière d’attirer l’intérêt chez d’autres artistes pour les éditions à venir. Nous voulions aussi compter sur des chercheurs en histoire de l’art avec le propos de nous aider à développer la proposition culturelle. Ainsi, Fatima-Zahra Lakrissa a accepté de venir passer le week-end de Sakhra, découvrir le travail de Abdeljalil et le village.

    Dans nos conversations de préparation de l’événement il y a eu pas mal de références à Caravane Tighmert étant donné les similitudes (Abdeljalil et Gilles étaient venus plusieurs fois à l’oasis); village très enraciné au paysage et à l’agriculture; lieu excentré; culture vernaculaire assez présente; absence de politiques culturelles; importance de son patrimoine et son histoire; population très jeune… Nous allions pourtant profiter de l’expérience acquise à l’oasis (à l’époque pendant 4 ans) pour tester des activités qui ont marché dans des contextes similaires, bien qu’il s’agissait de deux projets différents. À Tighmert nous avons constaté que la meilleure façon d’approcher l’art contemporaine à la population locale était en organisant des ateliers avec les enfants et les jeunes, et en ouvrant les activités à tous les habitants du village (ce qui n’était pas difficile vu le rôle de Abdeljalil et sa famille au village).

   Au fur et à mesure que nous parlions autour de nous, de ce que nous préparions, nous nous sommes rendus compte que peut-être que nous allions avoir pas mal de visiteurs. Mais à Moulay Bouchta il n’y avait pas des maisons d’hôtes comme à Tighmert pour loger tout le monde. Rapidement Abdeljalil a parlé avec ses voisins afin de loger les amis, ce que nous donnait la possibilité (comme à Tighmert) de faire découvrir l’architecture traditionnelle locale. Au final, nous avons été débordés par les amis, par les étudiants en architecture qui sont venus de Fès et de Rabat (des étudiants que j’avais rencontré à Fès lors de une conférence organisée par Takafes en janvier 2018, juste avant ma première visite chez Abdeljalil) et par les étudiants en beaux-arts de Tétouan. Nous avons dû utiliser une grande tente typique de la région pour loger encore des amis. J’adorais l’idée d’avoir une tente comme infrastructure assez présente tel que nous l’avons toujours à Tighmert.

   Il fallait nommer l’événement. Tout de suite nous étions d’accord pour garder le nom de Sakhra; il fallait un nom arabe qui pourrait être prononcé facilement en français et en anglais, d’ailleurs, sakhra, rocher en arabe, représentait parfaitement le rôle de la géologie et de l’orographie dans le village.  

 

le conception graphique

   Il nous fallait aussi développer des images pour accompagner l’information que nous allions publier sur Facebook. Au début j’ai testé utiliser une image de la kholwa de Sidi Moulay Bouchta pour le logo, vu que cet espace était assez représentative de ce que nous encourageait à mener des recherches. Ensuite, il y avait la posibilité de montrer le nom de l’événement en caractères latins et arabes et cela donnait des résultats qui pourraient avoir été utilisés vu la complémentarité graphique des caractères et aussi des couleurs.

   Mais il fallait tester ces images sur les affiches, lesquels j’avais commencé à étudier en même temps, sachant que la couleur beige utilisée dans le revêtement des bâtiments et des meules pourrait être une référence visuelle.

 

   Il manquait montrer le rapport entre rocher et architecture. Les images du profil des rochers à Moulay Bouchta pourraient servir comme image de fond, d’abord en mode monochrome (en se basant sur le beige des enduits), ensuite, remplies en noir pour montrer l’importance du rocher, mais finalement on l’a simplifié avec une ligne après des conversations avec Gilles. Sur ces affiches j’ai aussi testé différents logos et couleurs pour les informations qui devaient accompagner le dessin.

 

   Finalement nous avons décidé de simplifier au maximum les éléments graphiques, et compris le logo et les couleurs, en utilisant seulement le beige pour le fond, le rouge pour la maison de Abdeljalil et le reste en noir. D’autant plus qu’après nous allions ajouter plus d’info, comme la localisation des maisons avec des oeuvres exposées et le programme d’activités.

 

informations à partager

   Le fait de ne pas avoir un site Internet ne nous permettait pas de partager des informations d’intérêt. À ce propos, Gilles a préparé un dossier avec les intentions du projet, avec les réflexions que nous nous étions posés et avec les axes de recherches.

 

le lieu

   Il était compliqué de décrire le village et ses environs et notamment le rapport entre la géologie et les maisons. Quelques photos ont été diffusées pour offrir un aperçu aux participants et aux possibles visiteurs.

 05.2 Le programme

activités

   La première activité que nous avons proposé était la découverte du village, ses alentours et la maison-atelier de Abdeljalil. Une balade autour de sa maison nous a permis de rencontrer ses voisins, visiter des endroits cachés, faire la connaissance des visiteurs… Un de nos objectifs était le partage et non pas d’avoir un programme très chargé, il fallait laisser du temps pour les conversations, pour les discussions, parfois provoquées, parfois spontanées, en petits groupes, à deux, peu importe, mais l’interaction entre participants, visiteurs et habitants n’a pas eu des limites et depuis mon point de vu, cela a été une grande réussite de notre part. Au fait, Tighmert nous avait montré l’importance de créer des ambiances pour que ce partage soit réel en brisant les frontières entre cultures contemporaines et cultures traditionnelles, ou tout simplement en approchant l’art contemporain à une société rurale.

 

   Pour créer l’ambiance citée auparavant, il était fondamental de trouver la complicité des enfants et jeunes du village. Il ne s’agissait pas de leur donner des cours de dessin ou de peinture, mais d’échanger avec eux. Ainsi, l’atelier d’architecture en terre nous a permis de connaître leur rapport avec l’architecture (qu’est-ce qu’ils pensent des maisons construites en terre, en bloc de béton); avec les animaux; avec les rochers… Encore une fois, nous avons appliqué ce que Tighmert nous a enseigné. Il est curieux voir comment des enfants ont construit des espaces habitables en profitant des cavités dans des petits rochers, mettant en évidence la présence des rochers dans leur vie quotidienne.

   Nous avons eu des ateliers pendant tout le weekend auxquels les visiteurs (des étudiants en art, en architecture, artistes, cinéastes..) et les participants se sont impliqués, mais ils ont aussi participé à des ateliers organisés par les habitants, comme le lancement de pierres.

 

 05.3 Les interventions artistiques

 

Abdeljalil Saouli

   Pour Abdeljalil, Sakhra était très important; il allait recevoir la visite de pas mal d’amis et collègues; il allait coorganiser un événement dans son village, en montrant qu’au-delà du moussem et des fêtes de mariages, la culture contemporaine avait de la place et qu’il y avait un déficit éducatif lié précisément à la culture. En tant qu’artiste, il voulait revendiquer sa liberté artistique. Il faut savoir qu’après ces études à l’INBA Tétouan, il avait participé a des expositions à Casablanca, Fès, Rabat et Marrakech (dont Hybridations à la galerie Voice Gallery) mais ses inquiétudes artistiques, ses recherches et ses médiums n’ont pas attiré l’attention de collectionneurs, de galeries ou bien de commissaires, au moins pour considérer s’installer dans une grande ville comma Marrakech. Face à cette incompréhension il a décidé de s’installer au village, construir sa maison-atelier et s’occuper des animaux et oliviers, tout en développant son art. Certains de ses amis pensaient qu’en prenant cette décision, il allait quitter le monde de l’art, raison pour laquelle Sakhra était une occasion pour montrer qu’il était toujours artiste et qu’il avait choisi un autre chemin, certain, plus compliqué, mais avec beaucoup de liberté créative.

   En parlant avec lui et Gilles, il était évident que son travail devait se montrer dans sa totalité. Les anciennes oeuvres, étaient déjà installées dans la parcelle ou dans sa nouvelle maison, mais sa propre maison était déjà une installation d’art. La maison familiale, l’écurie, des petites falaises, les chemins d’accès à la maison… tous ces espaces ont été utilisés pour montrer ses nouvelles oeuvres, dans lesquelles il explore l’architecture traditionnelle de la région et le rapport avec la géologie et l’environnement. 

 

Ramia Beladel

   Après sa participation à Caravane Tighmert en 2017, Gilles voulait collaborer avec des artistes marocaines et il m’a demandé le nom de plusieurs avec lesquelles il pourrait travailler. Parmi les noms que j’ai lui donné il y avait celle de Ramia, venue en 2015 et 2016 à l’oasis et que je connaissais depuis ses années à l’INBA Tétouan. Puisqu’à l’époque Ramia et Abdeljalil étaient ensemble, Ramia et Gilles se sont mis d’accord pour travailler ensemble à Moulay Bouchta. Sakhra 2019 était un bon moment pour montrer leur collaboration dans une session d’écoute communautaire dans la tente montée à tel propos.

 
 

Abdeljalil Saouli et Gilles Aubry

   Les séjours à Moulay Bouchta pour collaborer avec Ramia Beladel ont été l’occasion pour Gilles de découvrir le travail de Abdeljalil, mais probablement c’était plutôt son mode de vie qui lui attirait plus son attention, surtout en tenant compte que Gilles travaillait sur un doctorat en anthropologie sociale à l’Université de Berne en Suisse autour du Pluralisme sonore, incarnation et voix écologiques au Maroc. Pourtant, avoir la possibilité de travailler sur le son et la pratique artistique de Abdeljalil (très enracinée dans son village) était un terrain d’exploration valide dès un point de vue de la recherche académique pour son doctorat, qui a donné lieu plus tard à une publication: Sawt, Bodies, Species. Sonic Pluralism in Morocco. Le chapitre 5, Stoundsound (pages 195 à 233), est consacré aux recherches menées par Gilles et Abdeljalil, dont cette vidéo qu’ils avaient fait pendant nos recherches en septembre 2018 et qui a été projeté dans la kholwa

 

   Gilles a aussi publié un article sur les recherches avec Abdeljalil dans la publication Studies in the Arts II - Künste, Design und Wissenschaft im Austausch.

 

   À part la recherche sur le son des pierres, Abdeljalil et Gilles ont travaillé aussi sur la perception sonore des animaux. Ils sont construit un dispositif en cuir avec un microphone binaural pour l’accrocher à la tête d’une chèvre et enregistrer les sons qu’elle capte pendant une journée. L’installation sonore a été montrée d’abord en 2018 dans l’exposition Communisme des ondes qui a eu lieu dans le centre culturel LE 18 Marrakech et puis à Moulay Bouchta pendant Sakhra 2019.

 

   Il y a avait un grand contraste entre l’installation de Marrakech et celle de Moulay Bouchta. Bien que Le 18 est un riad, les casques ont été accrochés du plafond d’une petite salle d’exposition, tandis que en 2019, les casques étaient accrochés au mur de la maison que la famille de Abdeljalil utilise pour garder les animaux, dont la chèvre “protagoniste”. Cette comparaison a servi pour déclencher une conversation autour des lieux d’exposition. Sakhra a montré que des expositions sont aussi valides dans des espaces non muséaux. En fait, nous avons déployé des oeuvres d’art dans les écuries de la famille et pour les visiter il fallait passer entre chèvres, moutons et vaches.

 

Gilles Aubry

   J’avais déjà assisté à une performance de Gilles, c’était à l’oasis, pendant la édition 2017 de Caravane Tighmert, mais cette fois-ci, il a voulu que la performance soit participative. Il a demandé aux enfants du village qui nous accompagnaient de faire comme Abdeljalil avait fait sur la vidéo Soundstone, frapper des cailloux contre le rocher pour écouter leur son:

   “En frappant, les rochers calcaires révèlent un paysage sonore riche, quelque part entre un instrument lithophone, un laboratoire sonore et un écosystème vivant sculpté par l'érosion hydrique”. Gilles Aubry.

   Au même temps, Gilles utilisait ce son pour le mélanger avec d’autres sons, les amplifier et les reproduire avec l’aide d’un hautparleur et un megaphone, tout en montant jusqu’au sommet du rocher.  

 
 

Aubry- Perez Marin-Saouli

   Dans les pages précédentes on peut trouver la genèse de Kholwa, résultat de la recherche que nous (Abdeljalil, Gilles et moi) avons mené entre 2017 et 2019, mais pendant l’événement de 2019 nous avons utilisé cet espace pour montrer la video SOUNDSTONE de Gilles et Abdeljalil. Après avoir testé plusieurs options, nous avons trouvé très pertinent de faire la projection directement sur le rocher, en donnant du sens précisément à Kholwa et à la vidéo.

 

Younès Rahmoun

   Younès est venu à Moulay Bouchta pour la première fois en janvier 2019. Quand je lui ai parlé de ce que nous préparions il a accepté de participer tout de suite. Il a toujours gardé un grand estime pour Abdeljalil et il était conscient que sa présence pouvait aider à donner de la visibilité à l’événement, à Moulay Bouchta et à Abdeljalil. Par ailleurs, la région de Taounate et voisine de la région originaire de sa famille, Al-Hoceïma. C’est dans le village de Beni Boufrah que Younès passait ses vacances et où il a commencé à faire ses premières installations d’art.

   Avant de proposer une intervention, Younès a voulu faire un repérage du lieu et éventuellement choisir un endroit précis pour montrer une oeuvre à lui. Finalement il a décidé amener l’oeuvre MARKABA (véhicule ou vaisseau en arabe), qu’il avait conçu après un voyage par le Rif et qui a été fabriquée par des artisans de Fès. C’est à dire, l’oeuvre résonnait parfaitement avec Moulay Bouchta (qui fait aussi partie de la région géographique du Rif). Markaba a été exposée pour la première fois à l’Appartement 22 de Rabat en 2016, puis à Doha (Qatar) en septembre 2019, en 2022 à Bensouda, Fès, dans le cadre du 20e anniversaire de l’Appartement 22 (exposition L’appartement 22 (2002-2022)), en 2024 à Marrakech, dans l’espace Malhoun Art Space et plus tard au Smith College Museum of Art de Northampton (Massachusetts, États Unis) lors de l’exposition HERE,NOW.

   Lors de Sakhra 2019, j’ai envoyé à Younès plusieurs photos des maisons traditionnelles dans lesquelles son oeuvre pourrait être installée. Il n’était pas évident vue les dimensions de Markaba et des chambres, mais il fallait qu’il valide la proposition afin de pouvoir réserver l’espace et finir la distribution de travaux de tous les artistes. À cause d’un empêchement, Younès ne pouvait pas arriver à temps pour le “vernissage” du vendredi, alors, j’ai décidé de monter la pièce sans lui. Une fois fait, je lui ai envoyé quelques photos pour qu’il donne son accord. Il m’a répondu que le rapport avec l’espace de la chambre était bien mais qu’il fallait tout démonter et attendre son arrivée parce cette oeuvre avait une “procédure”.

      Markaba a été conçue comme un espèce de vaisseau capable de nous transporter ailleurs mais au même temps de créer son propre espace dans son intérieur (même autour d’elle) où une personne pouvait introduire sa tête et s’éloigner de son environ (seulement 6 petits trous laissent passer la lumière en faisant référence au système des chambres noirs que Younès développait au même temps dans son installation Qomra). Il est habituel dans le travail de Younès de confronter forme et espace intérieur, en les combinant avec des concepts philosophiques et spirituels. Malgré son volume et géométrie assez précises, l'espace intérieur, presque noir, permettait de s’orienter selon les points cardinaux grâce aux trous situés dans ces mêmes axes, en mettant le visiteur dans le centre d’un univers propre et au milieu d’un espace temporel; entre passée et avenir. La lumière devenait l’instrument pour connecter le corps avec la conscience à travers la méditation.

   Or, pour montrer le caractère de vaisseau qui venait d’atterrir de l’espace, il fallait positionner Markaba dans la nature; dans les alentours de Beni Boufrah (Al-Hoceïma) lors de l’exposition De la Mer à l’Océan de Rabat à l’Appartement 22; dans le désert Qatari, lors de l’exposition Little Worlds, Complex Structures à Doha… Il fallait pourtant démonter la pièce et la transporter dans un lieu représentative de la nature de Moulay Bouchta. Younès a choisi un endroit au sommet du rocher qui servait de refuge pour la maison de Abdeljalil. Quand il était en train de finir le montage (avec l’aide des anciens étudiants à lui de l’INBA), j’ai commencé a appeler tout le monde, mais il m’a tout de suite dit qu’il fallait pas que les gens montent. Son idée était de photographier la pièce en haut, la démonter, la ramener à la maison d’en bas et la monter à nouveau. Pour lui, c’était dans cette “salle d’exposition” que les visiteurs pourraient la contempler. Je lui ai expliqué que les dimensions de la chambre n’allait permettre que 3 ou 4 personnes dans son intérieur et qu’il était dommage de ne pas la laisser en haut et regarder comment les habitants et les visiteurs allaient interagir avec. Il a donné son accord et finalement nous avons fait signe aux enfants et aux jeunes qui faisaient des ateliers en bas pour monter et regarder Markaba.

   À vrai dire, cela a été un moment incroyable qui montrait comment l’art contemporain pourrait s’approcher de nos sociétés sans avoir besoin des connaissances préalables en art, même pas de la médiation.

   En début de la soirée, la pièce a été déplacée dans la maison de la famille Saouli et elle a été visitée pendant la journée du dimanche.   

 
 

Mustapha Akrim

   Mustapha n’a pas pu se rendre avant à Moulay Bouchta mais il a amené une oeuvre (permanente) facile à installer, il fallait tout simplement chercher un bon endroit. Il n’a pas eu besoin de beaucoup chercher, pour lui, c’était évident qu’il fallait le mettre au sommet du rocher qui protege la maison de Abdeljalil. Point de Repère, fonctionne comme les balises GPS, situés dans différents points géographiques permettent la navigation dans la région qui couvrent. Dans son parcours artistique et personnel, Mustapha garde trois endroits dans la géographie marocaine qui lui sont très chers; Beni Boufrah (Al-Hoceïma), Tighmert (Guelmim) et Moulay Bouchta (Taounate). Sa première résidence artistique a été à Beni Boufrah en 2012 dans le cadre des Expéditions du bout du monde organisées par Abdellah Karoum (fondateur de l’Appartement 22 à Rabat). En 2016 il a participé à la deuxième édition de Caravane Tighmert. En 2019, c’était le tour de Sakhra à Moulay Bouchta, moment où il a installé son repère, en donnant une autre boule rouge à l’oncle de Younès qui habite à Beni Boufrah et une autre à moi pour la laisser à l’oasis de Tighmert (Ahmed Dabah l’avait mis sur le toit de sa maison mais l’incendie de 2020 l’a complètement cramé).

 
 

Saïd Afifi

   Saïd est un bon ami de Abdeljalil et ses intentions étaient de venir à Moulay Bouchta avant Sakhra, mais il n’a pas pu venir. À part leur amitié, le travail de Saïd gardait un rapport assez étroit avec Moulay Bouchta. Dans la vidéo de 2017, Etymology (montrée dans la maison familiale de Abdeljalil), des architectures futuristes mélangeant béton et rochers dans un monde où l’humanité n’est plus, mais où il y a un dialogue entre passée et future, entre tradition et contemporanéité… C’est comme si la vidéo parlait de Moulay Bouchta et de Sakhra. Il n’y avait pas de meilleur endroit pour montrer la vidéo que dans une maison traditionnelle, dans une des pièces de la maison Saouli, même si c’était en utilisant un drap blanc comme écran. 

 
 

 05.4 Épilogue

   Pour finir, quelques images et une vidéo à mode d’épilogue visuel de l’édition 2019 de Sakhra. Une première tentative que nous considérons comme plutôt réussie. Malgré les contraintes liées à la logistique, je pense que l’ambiance qui s’est créée, les conversations établies et les oeuvres montrées ont accompli nos objectifs; la possibilité que les zones rurales offrent à la création contemporaine; la demande d’éducation artistique et la formation que l’on peut apporter à travers des ateliers; mettre en avant le patrimoine et la culture traditionnelle des régions éloignées. 

   Il faut noter que quelques semaines plus tard, les échos de Sakhra m’arrivaient à travers plusieurs amis de différentes villes marocaines (Tanger, Tétouan, Rabat, Casablanca, Marrakech). C’est à dire, il y a eu un grand impact dans la scène culturelle marocaine, en indiquant qu’il y a eu un événement dans un village avec des expositions déployées dans des constructions traditionnelles, avec des conversations publiques dans des grottes, de la musique, des ateliers, des balades… Pour moi tout était vrai mais ce qui me choquait c’était l’ampleur des répercussions et les commentaires qui mettaient en valeur une telle proposition culturelle qui devrait être un exemple du développement culturel qui devrait se faire au Maroc. Pourquoi cette perception me frappait si j’étais un des initiateurs et organisateurs? Tout simplement parce que jamais nous avions eu cette réaction par rapport à Caravane Tighmert, parce que cela faisait 5 ans que nous l’organisions et par contre c’était Sakhra qui, d’un coup, après seulement un weekend, devenait un modèle et une référence culturelle. Pourquoi cette différence dans les répercussions? Je pense que c’est à cause du positionnement géographique de Moulay Bouchta. Nous avons eu des visiteurs de Tétouan, Tanger, Rabat, Fès, Casablanca, Marrakech et même Tighmert, mais avoir les principales villes du pays a moins de deux ou trois heures, c’est un avantage. Il y a aussi la question du public. À Tighmert, jusqu’à les 4 premières éditions nous avons eu toujours des concerts et du public (de l’oasis, de Guelmim et de Sidi Ifni) qui appartient à une autre scène culturelle, la musique. Il y a aussi la question des frontières géographiques mentales; pour quelqu’un de Marrakech, par exemple, le trajet à Tighmert peut sembler bien plus long que celui à Moulay Bouchta, même si en réalité il est plus court. Avec Ahmed Dabah, étant également venu à Moulay Bouchta, nous avons convenu d'analyser Sakhra et de voir si nous pouvions appliquer des activités ou des concepts à Tighmert.

   Dans tous les cas, nous étions très fiers et contents des résultats et nous sommes partis en pensant à une deuxième édition au printemps 2020…